Les Saintes ; Ann
Fabrice Guénier Deux récits-hommages aux prostituées de Thaïlande, avec une histoire d’amour à la clé.
Gallimard (2013 ; 2015), 368 pages, 21 € ; 304 pages, 19,50 €
La der de couve du premier roman de Fabrice Guénier a de quoi faire peur : “Après une rupture amoureuse qui le laisse brisé, le narrateur se rend en Asie du Sud-Est (…), il erre de fille en fille ; celles-ci sont innombrables et lascives, affectueuses, parfois.” Bienvenue chez les Pervers Pépère ? En hors-champ des Saintes, il y a Plateforme (2001) de Michel Houellebecq, qui retraçait déjà les pérégrinations d’un Français dans les bordels de Thaïlande. Chez les deux auteurs (et avant eux Léautaud, Genet et tant d’autres), la prostitution est la quintessence même des rapports entre êtres humains, leur vérité nue, quand on enlève la fioriture des beaux sentiments. Rien de nouveau de ce point de vue, sauf que le narrateur des Saintes tombe réellement amoureux de ces femmes : il écoute leurs histoires, souvent
tragiques, et tâche de les aider. D’où ce titre provocateur et ses belles pages comme autant d’hommages à des muses, des égéries qui resteront anonymes, car nées sous une mauvaise étoile. Jusqu’à cette Ann (titre de son second roman), la grande passion de sa vie qu’il voudra ramener en France.
Il y a là un style, des phrases ultracourtes, condensés d’impressions saisies au vol comme des photographies. Et, au-delà du sordide, une forme d’honnêteté : l’introspection d’un homme aussi impitoyable envers la société qu’envers lui-même, sa haine des clients beauf en short qui lui ressemblent, son impuissance face à la prostitution infantile : “C’était la première fois que je voyais des enfants. Nous avions reculé. Sans trouver quoi dire.” Yann Perreau coquins Cocu de sac 2008), Mort d’un papy voyageur (Baleine, 2010). Un zeste de trash dans le bush australien relevé d’une pincée de sensualité queer : la recette a fait le succès de la saga en plusieurs tomes de son héros hardboiled Ashe. Qu’Henning Mankel repose en paix, la relève est assurée. Léonard Billot