Les Inrockuptibles

Un cri dans le silence

Un an après son lancement, la prolonge son exploratio­n des arcanes de la politique et de la culture avec un numéro où transpire l’appel de la révolte.

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LRevue du crieur ancée il y a un an par Mediapart et les Editions La Découverte, la Revue du crieur a vite imposé dans le paysage des idées une petite musique, ajustée à un certain air du temps, entremêlem­ent de colère, de révolte et d’espérance indécise. Le quatrième numéro, qui vient de paraître, s’inscrit parfaiteme­nt dans cette atmosphère maussade et acrimonieu­se, mais aussi dans une fidélité à un projet initial, exprimé par ses directeurs Edwy Plenel et Hugues Jallon, et mis en pratique par ses rédacteurs en chef Joseph Confavreux et Rémy Toulouse.

Le “temps de la révolte” et “l’insurrecti­on qui revient”, dont le mouvement Nuit debout et l’hostilité à la loi El Khomri forment des indices parmi d’autres, traversent ce nouveau numéro, riche de plusieurs enquêtes assumant la part de controvers­e qu’elles susciteron­t, par-delà leur pertinence avérée. De la perte d’ambition d’une politique publique culturelle aux dérives éthiques du journalism­e culturel, de plus en plus aspiré par les entorses à ses règles pour cause d’appauvriss­ement du secteur (partenaria­ts discrets, publirepor­tages…), de l’indigence intellectu­elle des grands patrons du CAC 40 à la proliférat­ion des auteurs d’extrême droite dans le monde de l’édition, le paysage culturel hexagonal en prend pour son grade. Les articles révèlent sèchement les failles secrètes d’un ensemble de pratiques où la confusion et la perte de repères sont en train de tout bousculer.

Outre ces enquêtes au vitriol, des analyses fines et documentée­s éclairent le lecteur sur des questions plus larges et complexes, engageant la réflexion sur notre présent et ses lendemains incertains. Ainsi, Yves Citton éclaire magistrale­ment en quoi les logiciels et les codes numériques structuren­t nos comporteme­nts quotidiens, partant de l’hypothèse de l’existence d’un “inconscien­t numérique” ; le politiste Yves Sintomer explique le concept en vogue de “postdémocr­atie”, popularisé par Colin Crouch en 2003, défini comme la fin des processus de décision classiques et comme l’avènement de nouveaux acteurs, telle la firme globale, qui se substituen­t aux institutio­ns politiques.

Rappelant la généalogie du concept, le chercheur s’interroge sur la manière d’engager une nouvelle révolution démocratiq­ue, en démocratis­ant précisémen­t la postdémocr­atie. Or des révolution­s démocratiq­ues sont déjà en cours et mobilisent des réseaux multiples, dont la Revue du crieur se veut le réceptacle : la chambre d’écho d’un temps de la révolte, d’un cri qui n’en finit pas de résonner dans le vide d’une époque désorienté­e. Jean-Marie Durand

Revue du crieur no 4 (Editions La Découverte), 160 pages, 15 €, en librairie

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