Cher Claude Goasguen
Al’époque d’Occident et d’Ordre nouveau, tu n’étais pas aux premiers rangs. Même si des témoins affirment t’y avoir côtoyé, le flou sur ton appartenance à ces joyeux mouvements athlétiques de l’extrême droite française te permet d’apparaître aujourd’hui en notable des Républicains, élu à la tête d’un arrondissement de Paris, le XVIe, où ton passé de brute épaisse pourrait faire peur aux vieilles dames. Tu as donc longtemps rongé ton frein, mis en sourdine tes jeunes pulsions fascistoïdes pour émarger chez les mous de la trique de l’UDF et te fondre aimablement avec tes potes de chambrée de l’époque, Madelin ou Longuet, dans l’amidon respectable du centre-droit.
Les années passant, et le FN tambourinant de plus en plus fort autour de vos plates-bandes, tu as quand même senti que l’heure était peut-être venue de réactiver cette part de mémoire sombre et de lui redonner un peu d’oxygène. L’atmosphère générale s’y prête, les complexes et tabous d’hier volent en éclats sous la pression des plus jeunes et des plus excités, et toi tu jalouses sans doute leur liberté de dire tout haut ce que les pires ordures pensent tout bas. Trop longtemps, tu as dû tenir ton langage en laisse, même si, parfois, il t’arrivait d’aboyer quelques délicatesses, comme en 2013 à l’adresse de Rachida Dati, en lui conseillant de ne pas “ramener dans la capitale les moeurs du 9-3”. Mais, comme un taulard idéologique, tu as souffert des décennies durant de ne pouvoir te lâcher vraiment, de balancer le purin comme entre potes dans les cafés “résistants” de 68, bref, de comprimer toute cette semence haineuse qui pulsait dans ton cerveau.
Et puis, récemment, tu as vu qu’Eric Zemmour, parmi d’autres, était autorisé à se répandre partout, sur tous les supports, et qu’il n’hésitait pas à appeler un chat un chat et un Arabe un terroriste. La jaculation quotidienne de ce Gargamel en fusion, son vil commerce éditorial de la peur, son absence totale de scrupules lorsqu’il s’agit d’attiser les pires fantasmes guerriers, avoue que ça t’a foutu le gourdin, Claudio ! Du coup, n’en tenant plus, tu as profité d’une invitation sur La Chaîne parlementaire, mercredi dernier, pour nous faire à ton tour une belle carte de France apocalyptique, dont le concentré fut relayé sur ton compte Twitter : “Nous avons un problème avec les Maghrébins, as-tu notamment gazouillé. Il faut avoir le courage d’aborder le problème. Non pas dans la discrimination mais franchement !”
Franchement comment ? A coups de barre de fer comme à la grande époque ? Sans discrimination mais sans distinction non plus, visiblement, puisque tu semblais résumer sous le générique “maghrébin” tout ce qui de près ou de loin ressemblait à un barbu fou d’Allah. Obligé de t’excuser dès le lendemain, tu constatas que n’était finalement pas encore venu ce moment si doux où l’on pourrait afficher son racisme sans être inquiété par les bobos bienpensants du “parti de l’étranger”. Plus que quelques mois à tenir, t’inquiète, après tu pourras en mettre partout.
Je t’embrasse pas, je laisse ça à Zemmour.