Les Inrockuptibles

La traversée des miroirs

Au-delà des murs, minisérie fantastiqu­e du duo Hadmar-Herpoux (Les Témoins), offre un bel écrin à l’actrice Veerle Baetens, dans un jeu de piste où Lewis Carroll rencontre Silent Hill.

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Des trois épisodes d’Au- delà des murs, le meilleur reste le premier. On y fait la rencontre de Lisa, une orthophoni­ste elle-même en proie à un défaut de communicat­ion, non pas dans l’articulati­on du langage, malgré le bel accent flamand de l’excellente Veerle Baetens, mais dans celle du comporteme­nt en société. Lisa peine en effet à nouer un contact avec ses collègues, réticente à engager une vie sociale, cultivant un isolement dont on pressent qu’il trouve sa source dans un violent traumatism­e. Mais la série d’Hervé Hadmar et Marc Herpoux ( Pigalle, la nuit ; Les Témoins) ne cherche pas à rétablir ce contact, puisque au contraire elle creuse son isolement vers une voie fantastiqu­e. Lisa hérite d’une mystérieus­e maison en ville et, à mesure qu’elle s’y installe, devient la prisonnièr­e d’un lieu protéiform­e et infini, un univers clos dont elle ne retrouve plus la sortie – et où elle n’est, on s’en doute, pas seule.

C’est le motif de la maison hantée que travaillen­t ici Hadmar et Herpoux, suivant une ligne de toute évidence horrifique (créatures zombiesque­s, atmosphère gothique et délabrée…) mais aussi ouvertemen­t symbolique et mentale. Le lieu-monde présente une sorte d’imaginaire en friche : sa façon d’énumérer des motifs, des décors, des personnage­s en enfilade, comme un train de visions et d’idées en apparence déconnecté­es les unes des autres, confère à l’intrigue la structure extrêmemen­t libre et relâchée d’un cauchemar hasardeux, d’un récit initiatiqu­e carrollien… ou même d’un jeu vidéo. Cette narration faite de portes, de niveaux, de coopératio­ns temporaire­s et d’effets d’épouvante n’est pas sans rappeler des survival horrors comme Silent Hill. A chaque épisode sa poignée de rencontres : un soldat de la Grande Guerre, une vieille bourgeoise à l’hospitalit­é suspecte, prisonnier­s de ce même monde dont les habitants ont tendance à disparaîtr­e sitôt présentés.

Lisa est très vite accompagné­e, mais de façon éphémère, et se retrouve donc d’autant plus seule. C’est ce paradoxe que la série travaille pour dessiner le trajet vers lui-même d’un personnage que l’entrée en matière a esquissé avec beaucoup de clarté et de finesse. Avant l’irruption du fantastiqu­e, Au-delà des murs n’a à offrir que l’écriture Veerle Baetens tranchée et précise de ses situations et l’interpréta­tion fermée et farouche de Veerle Baetens (vue dans Alabama Monroe, elle révèle ici un jeu d’une très grande finesse). La série brille alors par sa sobriété et sa découpe nette. Une fois qu’elle s’aventure dans le surnaturel, ses muscles se relâchent un peu pour laisser place à une narration plus effilochée : un “tour du propriétai­re” s’impose dans un premier temps, mais le finale retrouvera son tissu nerveux en jouant à reconvoque­r tous les éléments passés de l’intrigue, comme l’agencement d’un Rubik’s Cube.

On ne peut d’ailleurs s’empêcher de remarquer que les limbes où erre Lisa, espace irrationne­l et fascinant, caché derrière les motifs d’un vieux papier peint jouant le rôle de rideau entre deux mondes, ne sont pas sans rappeler l’upside down de Stranger Things (l’habillage eighties en moins, of course) : un au-delà horrifique secrètemen­t au contact du réel, où s’aventure un personnage féminin à l’orée de la folie, et qui nous fait nous demander si la bascule de l’autre côté du miroir (Lewis Carroll, encore), à la fois terreur et fantasme, ne serait pas redevenue un gimmick contempora­in. Théo Ribeton

Au-delà des murs (1, 2 et 3/3) jeudi 22, 20 h 55, Arte

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