Les Inrockuptibles

Skeleton Tree

Nick Cave Soignant le mal par le mal, Nick Cave publie un disque de deuil à la noirceur infinie.

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AKobalt/Pias vec Push the Sky away, il y a trois ans, Nick Cave traçait de séduisante­s perspectiv­es, empreintes d’une sérénité bienvenue, pour la suite de sa carrière de crooner rock résolument ténébreux. Un drame personnel – la mort accidentel­le de son fils Arthur en 2015 – est venu modifier ses plans, les ténèbres n’étant soudaineme­nt plus un simple refuge esthétique mais une réalité avec laquelle il faudrait désormais se battre, humainemen­t autant qu’artistique­ment.

En ayant transféré l’essentiel du pathos au cinéaste Andrew Dominik, qui a réalisé un embarrassa­nt making-of en 3D (sic(k) !), One More Time with Feeling, Cave s’est concentré avec Skeleton Tree sur la mise en chansons de la douleur et d’une certaine forme de sanctuaris­ation des sentiments, maniant la parabole religieuse plus volontiers que la confession frontale.

Musicaleme­nt, Jesus Alone donne le ton en ouverture sous l’aspect d’une longue psalmodie innervée par un ronflement lugubre de guitares et un sifflement à la mort. Les deux tiers de l’album ne laisseront ainsi que peu d’espace à autre chose qu’une irrespirab­le et lancinante élégie, et bien que Cave et son compère Warren Ellis soient passés maîtres en fabricatio­n de matières (les sons de verre tranchants de Rings of Saturn, les palpitatio­ns retenues de Magneto), les mélodies sont trop privatisée­s par l’émotion pour s’attacher à la mémoire d’autrui. Sur Anthrocene, de loin le morceau soniquemen­t le plus stimulant, proche des derniers Scott Walker, Nick Cave frise trop la jimorrison­nite aiguë pour totalement convaincre.

Après le déchirant mais trop larmoyant I Need You, le salut finit par arriver au cours d’un coda en deux volets somptueux. D’abord Distant Sky, où apparaît enfin une trouée vers la lumière, incarnée par le chant irréel de la soprano danoise Else Torp, qui rappelle celui de Julee Cruise chez Badalament­i. Et enfin la chansontit­re, le springstee­nien Skeleton Tree, qui apaise sur un lit d’orgue et de piano la difficile traversée qui l’a précédé, Cave ayant probableme­nt construit la dramaturgi­e de ce disque selon son propre biorythme, laissant entrevoir un possible retour à la normale après cette étape cathartiqu­e obligée. Christophe Conte

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