Les Inrockuptibles

Wild side story

Dans un premier livre séduisant, Molly Prentiss se réappropri­e le motif de la passion à trois et signe un portrait polychrome d’un New York disparu.

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James Bennett est synesthète. Aux gens, il associe des couleurs, aux oeuvres d’art des sensations physiques. Sa femme Marge, par exemple, rayonne en rouge, tandis que les peintures abstraites de Louise Fishman lui évoquent “une forte odeur de shampoing”. Les esquisses aux crayons gras de Mary Heilmann, elles, seraient plutôt “désaltéran­tes pour le coeur comme de l’eau potable”. Un don qui lui ouvre bientôt les portes du New York Times, où il devient, à l’aube des années 1980, critique d’art star et dénicheur de génies.

Et New York, à l’époque, n’en manque pas – de génies. Le downtown Manhattan est un laboratoir­e artistique où bouillonne­nt l’audace, la fièvre et la folie : Keith Haring tague des pénis dans le métro, SAMO/ Basquiat couvre les façades de sentences poétiques et Jeff Koons joue au Dada avec des aspiros. C’est au coeur de cette effervesce­nce créative qu’atterrit Raul Engales, peintre argentin en exil, qui fuit la dictature et cherche la gloire. Pour Bennett, les toiles de l’Argentin déchaînent “des éclairs jaunes, vifs, furieux, incroyable­s, joyeux, terribles et incontrôla­bles”. Le succès semble assuré. Mais la tragédie – bien sûr – va vite les rattraper. La belle Lucy aussi, pour ne rien arranger.

Du New York des eighties, Molly Prentiss n’a rien vu. Elle est née en Californie en 1984 et a attendu d’avoir 21 ans pour fouler l’asphalte de la Grosse Pomme. Elle se souvient que c’était sale, brutal et bruyant. Aujourd’hui, son premier roman est gorgé de ces sensations sublimées, mais aussi de photos d’archives et d’images de l’époque redessinée­s sous sa plume.

Et si l’imbroglio amoureux de son trio bigarré est un peu poussif, le portrait rétro de la ville et de sa faune bohème se révèle d’une sensualité colorée. Des squats de Soho aux peep-shows de Times Square, Prentiss nous propose une balade dans le “wild side” du New York d’avant la gentrifica­tion, le 11 Septembre et les hipsters ; un paradis arty définitive­ment perdu. Léonard Billot

New York, esquisses nocturnes (Calmann-Lévy), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Bru, 412 pages, 21,50 €

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