Les Inrockuptibles

La lutte finale

Portrait de la militante féministe Thérèse Clerc dans les dernières semaines de son existence. Un bouleversa­nt documentai­re par l’auteur des Sébastien Lifshitz.

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AInvisible­s,

l’époque, on disait : ‘Elle est très bien élevée, cette femme. Elle est effacée.’ Et puis un jour, je me suis dit : ‘Effacée, effacée, j’ai pas envie d’être effacée’.” Pour Thérèse, ne pas céder à l’injonction sociale de l’effacement, ce fut, à la fin des années 1960, à l’orée de la quarantain­e, quitter son mari, devenir militante féministe et multiplier les aventures sexuelles lesbiennes.

Thérèse Clerc, c’est le personnage principal du nouveau documentai­re de Sébastien Lifshitz, Les Vies de Thérèse. On l’avait déjà croisée dans un précédent film du cinéaste, Les Invisibles (2012), portraits entrelacés de quelques homosexuel(le)s ayant dépassé la soixantain­e et se retournant sur leur parcours personnel dans une France passée graduellem­ent, dans le temps de leur vie, de la pénalisati­on de l’homosexual­ité au mariage pour tous. Le parcours de Thérèse – son enfance dans les années 1930, sa fréquentat­ion de prêtres ouvriers qui l’initient au marxisme dans les années 1950, la façon dont elle réinvente sa vie après 68 –, on le connaissai­t donc déjà un peu. Et si Sébastien Lifshitz revient une seconde fois sur cet itinéraire, au point de consacrer à elle seule un film, c’est cette fois à la demande de l’intéressée.

“J’ai pas envie d’être effacée” lorsque Thérèse résume ainsi l’embryon de sa révolte devant la domination masculine, : elle ne sait peut-être pas qu’elle exprime aussi le désir inconscien­t qui préside à ce film. C’est en apprenant qu’elle est condamnée, qu’elle n’a plus que quelques mois à vivre, que l’octogénair­e recontacte le cinéaste des Invisibles pour qu’il filme sa lutte perdue d’avance contre la maladie. Et aussi tout ce qu’elle laisse derrière elle : un legs militant et intellectu­el, des souvenirs d’enfance retracés sur des photos jaunies, une famille composée de quatre enfants qui s’interrogen­t, de façon bienveilla­nte et néanmoins critique, sur cette mère dont la liberté et l’audace des choix de vie ont pu parfois les désoriente­r (cette table ronde de grands enfants quinquagén­aires recomposan­t le portrait éclaté de leur mère donne au film ses scènes les plus passionnan­tes).

Convoquer un cinéaste à son chevet, c’est donc ne pas vouloir être effacée une seconde fois – d’abord par les hommes, ensuite par la maladie et la mort. Sébastien Lifshitz déploie une grande délicatess­e pour pointer à la fois tous les signes de l’inexorable disparitio­n (très beaux plans graciles sur les soins hospitalie­rs, l’abattement du corps sur son lit médicalisé, etc.) et les traces qui vont perdurer, le dépôt d’une vie sur le monde et sur les autres. Jean-Marc Lalanne

Les Vies de Thérèse documentai­re de Sébastien Lifshitz, diffusion à partir du mardi 27 septembre, Canal+

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