Stop au massacre
A coups de vidéos chocs tournées en secret dans les abattoirs français, l’association L214 invite à embrasser le véganisme. Au plus vite.
L’année 2016 n’est pas encore écoulée que l’on peut déjà parier que “L214” se classera dans le top 3 des noms qui l’auront marquée. Rien de bien attirant pourtant dans cet assemblage chelou entre une lettre et un nombre qu’il faut voir et revoir avant que notre cerveau ne daigne l’enregistrer. A moins que l’on ne connaisse par coeur l’article L-214-1 du code rural – “Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce” – qui a inspiré à cette association de protection animale son nom. Pendant longtemps, L214 s’est effacé au profit de la périphrase “mais si, tu sais bien, ceux qui sortent les vidéos des abattoirs”. Car à l’inverse de son nom un peu cryptique, les vidéos balancées sur le web par l’association s’impriment, qu’on le veuille ou non, directement sur notre rétine.
La dernière date du 20 septembre et se révèle, comme les précédentes, insoutenable. On y voit des moutons encore conscients être égorgés en étant maintenus de force sur une lame alors qu’ils se débattent violemment. Tournée au sein de l’entreprise Sodem (Société des éleveurs de moutons), qui se présente comme le premier abattoir français indépendant pour l’agneau, et lâchée en pleine fête de l’Aïd, elle dénonce clairement l’autorisation pour les membres des cultes juif et musulman d’égorger les animaux sans les étourdir au préalable. Aussi et surtout, la vidéo est publiée le jour même où la Commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage des animaux, présidée par Olivier Falorni (Parti radical de gauche), rendait son rapport après des mois d’enquête. Le timing était donc parfait.
Un nouveau tour de force pour L214, qui les aligne depuis octobre 2015 et sa vidéo tournée en caméra cachée dans l’abattoir d’Alès. Là, des boeufs mal étourdis étaient saignés à la chaîne, des porcs entassés dans une fosse asphyxiés au CO . Devant de tels manquements aux règles d’hygiène et au respect du bien-être animal, la vidéo était devenue virale, le scandale total. L’abattoir avait été prestement fermé avant de rouvrir deux mois plus tard sous prétexte que l’enquête sanitaire n’avait relevé que “quelques dysfonctionnements”.
Mais il en aurait fallu plus pour démotiver Brigitte Gothière, 43 ans, porte-parole et fer de lance de l’association qui nous reçoit un matin dans le local qui leur sert de base dans le XIXe arrondissement de Paris. Vingt-cinq permanents, dix-huit salariés, “des centaines de bénévoles”, plus de 500 000 likes sur Facebook. L214 a huit ans mais ne connaît de véritable explosion que depuis le début de l’année et sa série de vidéos chocs tournées dans des abattoirs du Mercantour, du Vignan, de Pézenas… qui sont tous encore en activité. Côté production, impossible d’en savoir plus. L214 protège ses sources et ses secrets d’infiltration.
Brigitte Gothière avait 20 ans quand elle a eu le déclic. Le jour où le bout de lard que son compagnon, Sébastien Arsac, cofondateur de l’asso, dégustait dans le salon familial en Auvergne lui est apparu pour ce qu’il était : une partie d’un animal égorgé afin d’être consommé. Ils deviennent végétariens à une époque où internet n’existe pas et dans un milieu où la charcuterie s’invite à tous les repas : leurs grandsparents sont éleveurs, l’un des grandspères est même chargé d’égorger le cochon à la ferme. En 2003, Sébastien infiltre un élevage d’oies Caméscope en main avec l’asso Stop gavage. Cinq ans plus tard, installés à Lyon, ils montent L214 avec une bande de végans rencontrés via les Cahiers antispécistes, une revue française qui questionne le spécisme (le fait que les humains s’estiment supérieurs aux animaux).
Peu friands de compromis, Sébastien et Brigitte lâchent l’Education nationale. Leurs deux enfants, aujourd’hui âgés de