“nous descendons tous d’un voleur de poules” Raphaël Glucksmann
L’essayiste en appelle à l’histoire de France pour analyser la débâcle idéologique d’une gauche qui laisse le champ libre aux discours identitaires réactionnaires et au repli sur soi.
Comment combattre la dérive réactionnaire de la psyché française et ne pas perdre, après celle des têtes, la bataille des urnes ? C’est toute l’ambition d’un livre modeste, Notre France (Allary Editions), petite pierre dans l’élaboration d’un travail titanesque : remettre la gauche et ses valeurs progressistes au centre du récit français. Ne plus raser les murs, mais porter fièrement l’humanisme, l’universalisme, les droits de l’homme, ces idées moquées ou mises sous le tapis. Raphaël Glucksmann a bien du mal à comprendre comment les dirigeants socialistes arrivent à dormir la nuit lorsque c’est le Front national qui récupère ce trésor de l’histoire française qu’est la lutte contre les privilèges.
Ce “fils de” discret, qui a hérité de son père le goût pour la bagarre et les philosophes lumineux, ne veut pas être de ces rentiers culturels qui regardent la catastrophe arriver assis sur leur cul en maudissant la génération des Hollande – le gestionnaire – et Sarkozy – le roi de l’ère du mensonge. Après Génération gueule de bois, l’auteur de 36 ans publie avec Notre France une plongée dans la structure progressiste et ouverte de l’identité française, une réponse au déclinisme mensonger à la Zemmour.
Raphaël Glucksmann est lucide, volubile, combatif, c’est l’anticynique par excellence, en lutte contre la domination culturelle de l’ultradroite et la paresse de la gauche, où l’on n’entend guère que Christiane Taubira s’alarmer de la défaite des idées. “La lutte sera longue”, répond Raphaël Glucksmann, soldat intranquille de la bataille gramscienne qui vient.
Après avoir publié un essai sur votre génération, pourquoi vous plonger dans l’histoire de France ?
Raphaël Glucksmann – Génération gueule de bois analysait le triomphe culturel et idéologique des réactionnaires. La suite logique était de rechercher le récit à leur opposer. J’ai donc plongé dans notre histoire pour retrouver les gestes, les oeuvres, les luttes qui ont façonné cette nation cosmopolite que nous sommes en train de perdre faute de savoir la dire et la faire vivre. Un point de bascule a déclenché l’écriture : à la fin de l’été 2015, des milliers de réfugiés crèvent en Méditerranée, errent sur nos routes et que voit-on ? On voit le supporter de foot allemand devenir plus ouvert sur l’autre que l’intellectuel français. Fin août 2015, des banderoles “refugees welcome” apparaissent dans les stades allemands, un tabloïd conservateur – Bild – lance une campagne nationale intitulée “Wir helfen” (“Nous aidons”) et une chancelière de droite prône l’accueil. Je suis en Allemagne et j’assiste au mouvement de solidarité. En France, au même moment, on moque “l’angélisme” de Merkel, un président de gauche refuse de la suivre, son Premier ministre allant jusqu’à la poignarder dans le dos à Munich. Même la gauche dite radicale de Mélenchon apparaît en retrait de la CDU ! L’argument donné par ces politiques autoproclamés progressistes ? “On ne peut pas vu l’état de l’opinion.” Ce moment nous interroge tous : pourquoi un discours fidèle à la tradition française d’accueil serait-il aujourd’hui inaudible ? Voilà le point de départ du livre : la gauche a laissé tomber notre histoire comme nos principes et il est donc urgent de les revisiter.
Convoquer l’histoire de France, est-ce donc une manière de rappeler la gauche à son socle de valeurs ?
Une manière surtout de rendre leur force, leur radicalité originelle aux slogans démonétisés que sont devenues les supposées “valeurs de gauche”. La droite dite “décomplexée” a réussi à inhiber les progressistes, je veux