Les Inrockuptibles

Dogs de Bogdan Mirica

Entre polar et western, un film de genre roumain au comique nerveux proche de celui des frères Coen. Mirica sait installer une atmosphère poisseuse (pour les personnage­s)

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Décidément, le cinéma roumain est extrêmemen­t dense et divers. Derrière le brelan d’as constitué par Cristian Mungiu, Cristi Puiu et Corneliu Porumboiu (mon préféré), on a pu voir émerger Adrian Sitaru (le puissant et transgress­if Illégitime) et maintenant donc, Bogdan Mirica. Si Mungiu ou Sitaru chroniquen­t la Roumanie urbaine contempora­ine, si Puiu et Porumboiu sont volontiers farceurs et pince-sans-rire, Mirica s’apparente plutôt aux genres américains, Dogs étant un bon mix de polar et de western.

Roman, un jeune homme de la ville, vient prendre possession de la maison de campagne dont il a hérité à la mort de son père. Il se rend compte petit à petit qu’il n’est pas forcément le bienvenu dans ce bled, cet accueil patibulair­e se manifestan­t d’abord par des chiens errants qui n’en finissent pas d’aboyer. Parallèlem­ent, la police locale découvre un cadavre de jeune femme dans une rivière.

et captivante (pour le spectateur). On sent que quelque chose ne tourne pas rond mais on ne sait pas exactement quoi (ça viendra plus tard). Ses plans sont en scope, ses travelling­s sont feutrés, son montage est long, les ressorts qui éclairciss­ent les mystères de l’histoire se dévoilent lentement mais sûrement, on entend les moustiques et les cigales, de sorte que le spectateur est puissammen­t imprégné par cette campagne écrasée par le soleil de l’été où rôde une tension latente. Ici, on oublie les HLM grisâtres de Ceausescu et d’une bonne part du cinéma roumain, ce bout de Roumanie ressemblan­t plutôt à un coin perdu du Texas et ce film à un cousin de Peckinpah ou des Coen de No Country for Old Men. Mirica dégaine quelques éclats de cinéma mémorables, comme ce long plan-séquence où le commissair­e local, attablé sur sa terrasse, ausculte minutieuse­ment le pied découpé du cadavre de la fille à la recherche d’indices : la scène est d’un prosaïsme impavide mais flirte aussi avec un comique nerveux.

On ne dévoilera aucune des péripéties, mais on peut au moins dire que le regard que Mirica pose sur son pays ne sera pas repris par l’office de tourisme. Malgré ses images solaires, Dogs est plus noir que du James Ellroy. Le cinéma roumain nous montrait que les villes de là-bas sont peu avenantes, Dogs nous enseigne que c’est encore pire à la campagne. Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme, ni pour le jeune, ni pour la femme. Par contre, ce film est pour tous les amateurs de bon cinéma de genre. Serge Kaganski

Dogs de Bogdan Mirica, avec Dragos Bucur, Gheorghe Visu (Rou., Fr., Bul., Qat., 2016, 1 h 44)

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