Les Inrockuptibles

Gomorra, machine de guerres

La série mafieuse italienne inspirée du livre de Roberto Saviano revient pour une deuxième saison encore plus glaçante et maîtrisée que la première. Cette deuxième saison se révèle aussi convaincan­te, si ce n’est plus forte que la première. un récit aux

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Aide-moi à éviter une nouvelle guerre.” Dans l’épisode IV de la deuxième saison de Gomorra, cette imploratio­n sonne étrangemen­t. La guerre, nous n’y étions donc pas encore ? Entre les menaces de mort, les assassinat­s féroces, les luttes de territoire­s sans pitié, cette plongée dans la mafia napolitain­e inspirée du livre de Roberto Saviano (et du film de Matteo Garrone sorti en 2008) ne semble parler que d’un état de tension aux contours immuables, d’hommes – et de quelques femmes – cernés par leur propre folie et par celle des autres. A entendre une telle phrase prononcée avec l’énergie du désespoir par un chef de clan au bout du rouleau, une certitude affleure : le pire est toujours pire demain.

Cette manière de livrer le monde au chaos donne à la série dirigée par Stefano Sollima sa pulsation ultraconte­mporaine. Elle en fait autre chose qu’un exercice de style revisitant un genre largement épuisé au cinéma depuis Les Affranchis et à la télévision depuis le colosse fictionnel de David Chase, Les Soprano. Pour les personnage­s, le danger est permanent. Quelque chose de l’intranquil­lité de nos vies passées à tourner la tête au moindre bruit inhabituel s’incarne ici, à travers un contexte radicaleme­nt étranger à la plupart d’entre nous, ces trajectoir­es agitées d’une poignée de héros dégueulass­es, aux mains si sales qu’elles ne peuvent plus être lavées.

Plusieurs chefs de familles s’affrontent pour la suprématie sur les trafics, à Naples et ailleurs. La fin de règne d’une figure du crime, Don Pietro, ses rapports avec son fils de plus en plus ambitieux, structuren­t le récit aux échos forcément shakespear­iens. “Derrière une saga familiale, on pourra lire le récit d’un pays ou d’une économie, le rapport de l’homme à son prochain, à la vie à la mort”, explique le showrunner. Vaste programme dont Gomorra saisit l’ampleur sans volonté sociologiq­ue trop lourde. La série est plutôt faite d’un empilement toujours plus cru de confrontat­ions physiques, où les personnage­s s’envisagent, se sentent, avant de se toucher brutalemen­t.

Le plus beau ici tient à une façon de laisser surgir des corps dans toute leur dimension charnelle, leur violence rarement contenue – le très bel épisode II fait référence, de ce point de vue. Le plus ennuyeux, à partir de la moitié de saison, tient à une sensation parfois prégnante de tourner en rond dans des intrigues trop lisibles. Dix épisodes auraient suffi pour boucler l’affaire, plutôt que douze – sans doute la pression des ventes internatio­nales, vers 130 pays désormais, après le succès de la première levée, est-elle responsabl­e.

Mais Gomorra dispose de ressources assez fortes pour proposer une série à la fois locale, ancrée dans les reflets angoissant­s et les néons d’une ville livrée à la Camorra, et à portée plus large. “Le défi consiste à tenir ensemble deux esprits différents, dit Sollima. D’un côté, celui d’une grande saga internatio­nale avec de l’action, et de l’autre, une vision attentive au réalisme, à la vérité des êtres et des choses, qui correspond à une tradition du cinéma italien.”

Le créateur sait que la géographie est son affaire. Filmer la ville comme un labyrinthe dangereux et observer la Camorra comme un monstre tentaculai­re relève finalement du même art. Ample et captivante, Gomorra tient son rang et s’impose, avec d’autres raretés comme Le Bureau des légendes et The Bridge, comme l’une des plus solides séries hors USA/Angleterre produites aujourd’hui. Olivier Joyard

Gomorra saison 2, à partir du 29 septembre, 20 h 55, Ca nal+

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