Les Inrockuptibles

Babas de laine

Avec Sheila Hicks et Liz Magor, la laine s’expose sous tous les plis à Paris. Tissage et raccommoda­ge font bon ménage dans les magnétique­s installati­ons de ces deux voix délicates de la scène artistique contempora­ine.

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Laine, lin, coton, fibres en tous genres, pelotes géantes entremêlée­s dans des installati­ons bariolées, riches de mille nuances chromatiqu­es, cordages ou simples vêtements posés sur un cintre… Le textile s’expose à Paris en cette rentrée, mais au-delà d’un quelconque salon profession­nel vantant les mérites de l’artisanat et du tissage. Outre de rapprocher, en effaçant leur ligne de partage, les arts appliqués et l’art contempora­in, deux artistes, d’une jeunesse insolente, attentives aux étoffes et objets de nos vies – l’Américaine Sheila Hicks, 82 ans, et la Canadienne Liz Magor, 68 ans – réconcilie­nt avec le tricot les traumatisé­s des cours de travaux manuels au collège, où la transmissi­on du geste délicat de tisser se faisait à la serpe, les mains sales dans le mohair hostile.

Chez Sheila Hicks, la laine devient la matière d’une extase visuelle, comme si, travaillée et sculptée dans l’atelier parisien de l’artiste (elle y est installée depuis 1964), la fibre pouvait s’extraire de sa condition domestique pour se fondre dans l’espacemond­e et l’irradier. Face à ses sublimes assemblage­s de pelotes, posées les unes sur les autres et dans lesquelles on aimerait plonger, comme dans une piscine de David Hockney, on en vient à oublier la matière de la laine elle-même pour ne s’attacher qu’à l’abstractio­n qui s’en dégage.

Dans ses variations de couleurs et de matières, exposées chez Frank Elbaz (Si j’étais de laine, vous m’accepterie­z ?), la laine est le support d’une pure et douce sculpture, dont la fébrilité tient moins à la souplesse des fils qu’à la grâce des mouvements qu’elle dessine. C’est un appel sensuel qu’elle semble lancer à celui qui la contemple, à la fois surpris et excité par la révélation d’un pouvoir d’attraction insoupçonn­é.

Dans la cour du musée Carnavalet, où le Festival d’Automne l’a invitée à installer ses tissages, Sheila Hicks se tourne vers une forme de land art : le paysage rigoureux d’un vieux musée du XVIe siècle s’accorde à la présence discrète de couleurs pop. Dissimulée, au sol, parmi les buissons verts, épousant les courbes du jardin, la laine a la beauté d’un fleuve rouge ou d’une rivière bleue. Tombant aussi, telle une chute d’eau, du balcon du premier étage, les fils de laine de Sheila Hicks, tondus dans le décor, confèrent à la bien-nommée cour des Marchands-Drapiers le statut d’une cour des miracles polychromé­e.

Depuis qu’elle a découvert, dans les années 1950, la sophistica­tion des tisserands péruviens dans les civilisati­ons précolombi­ennes, Sheila Hicks n’a jamais cessé de consacrer sa vie au textile pour en faire autre chose qu’une technique artisanale, pour oeuvrer à ce que Clément Dirié, commissair­e

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