Les Inrockuptibles

Dealer de livres

Spécialisé dans la revente d’ouvrages rares d’art, IDEA réalise la majorité de ses opérations via son compte Instagram aux quelque 262 000 followers. Rencontre avec son cofondateu­r britanniqu­e David Owen, qui transmet sa passion pour les livres à travers

- Par Fleur Burlet photo Nina Manandhar pour Les Inrockupti­bles

Dans une rue bondée du quartier de Soho, à Londres, un homme appuie sur la sonnette d’une porte anonyme. Deux étages plus haut, sa voix résonne à l’interphone : “Bonjour, c’est Calvin Klein.” Quelques mois plus tard, c’est Kanye West qui passe feuilleter les centaines de livres et de magazines entreposés dans une minuscule salle au bout du bureau d’IDEA, revendeur d’ouvrages rares d’art et de mode, où la radio joue de la musique classique. Tout ce que la mode, le design, l’architectu­re, la photograph­ie ou la direction artistique comptent d’important est passé entre ces quatre murs, anciens bureaux du label Rocket Records dans les années 1970. Ici, un fanzine des Smiths des années 1990 côtoie des ouvrages sur le mouvement Memphis ou l’art du jardin japonais, et l’intégralit­é des numéros de Vogue Italie est (difficilem­ent) planquée sous une table à carreaux.

du premier kiosque à Instagram David Owen, moitié du duo fondateur d’IDEA, nous reçoit dans son bureau aux airs d’archives poussiéreu­ses – sauf qu’ici tout est à vendre, et consultabl­e uniquement sur rendez-vous. Ancien auteur et producteur télé, il se lance dans la revente de livres dans les années 1990, avec sa compagne Angela Hill, ex-styliste et photograph­e. Repérés par Sarah Lerfel (du conceptsto­re Colette), ils ouvrent leur premier “kiosque” dans un hôtel londonien en 2009. Depuis une dizaine d’années, le couple britanniqu­e vend ses plus belles trouvaille­s au magasin branché Dover Street Market, aux côtés de leurs produits dérivés, dont leurs T-shirts à succès en hommage aux icônes de la pop culture, du best-seller Winona aux chansons de Madonna (dont “Borderline”, dernier né de la gamme, porté par David lors de notre rencontre).

Si le showroom d’IDEA voit passer les clients les plus illustres, la popularité de la maison est largement due à internet : la majorité des ventes se fait via son compte Instagram, suivi par plus de 260 000 personnes. Chaque jour, le revendeur fait la promotion d’environ six livres, des superbooks, qui sont ensuite vendus sur le site en ligne en moins de cinq minutes – exploit non négligeabl­e quand on sait que le prix de ces titres peut grimper jusqu’à 2 500 euros. “Tout le monde nous demande si on pense que le print est mort à cause du digital, raconte David, mais en réalité c’est autre chose qui se passe. Les gens ont perdu assez de téléphones et ont vu tellement d’ordinateur­s planter qu’ils savent bien que les photos ne durent pas éternellem­ent, même si on nous bassine avec des histoires de stockage virtuel. Lorsqu’ils tombent sur un livre regroupant des photos qu’ils aiment, ils saisissent l’opportunit­é de les posséder.”

un ton qui suscite le désir Outre la qualité des ouvrages proposés – parmi les plus récents, Jungle Fever de Jean-Paul Goude (1982), Hockney by Hockney de David Hockney (1976), 108 Portraits de Gus Van Sant (1992) –, le succès d’IDEA tient à son ton : un enthousias­me spontané et communicat­if face à la rareté d’un superbook, qui pousse avec humour vers l’acte d’achat. “Quand dans notre newsletter on parle d’un livre vraiment désirable, on n’essaie même pas de pousser le lecteur à lire tout le texte de descriptio­n pour arriver au bouton ‘J’achète’,” explique David, qui s’occupe de toute la communicat­ion d’IDEA. On dit simplement dès la première phrase : ‘On vous conseille d’acheter ce livre tout de suite, puis de revenir sur cette page et de la lire tranquille­ment. Une fois qu’il sera à vous, vous serez beaucoup plus serein.” Un style d’écriture enjoué et plein d’humour, inspiré par le ton du magazine new-yorkais Interview, que David lisait avec assiduité dans les années 1990. “Nous publions nos livres sur Instagram de la même façon que l’on montrerait un livre à un passant dans une boutique, explique David. On leur dit : ‘Il faut absolument que vous voyiez les jambes de Charlotte Rampling sur cette photo !”

obsessions et maison d’édition Suite logique, IDEA s’est lancé dans l’édition. En janvier, les 500 copies du premier livre consacré au collectif de mode VETEMENTS, dont les photos sont signées Pierre-Ange Carlotti, se sont écoulées le jour de leur mise en vente, et se revendent désormais quatre fois leur prix d’origine (50 euros). On parie que le deuxième tome, Summercamp, tiré à 300 exemplaire­s, et d’ores et déjà disponible, suivra le même chemin. Le duo s’apprête aussi à publier un ouvrage colossal de 640 pages sur le décorateur d’intérieur David Hicks. Mais au fait, de quoi IDEA est-il le nom ? “C’est l’acronyme de nos prénoms et ceux de nos enfants, conclut David, mais c’est aussi un terme qui a l’avantage d’englober toutes nos obsessions. IDEA, c’est un bon fourre-tout.”

instagram.com/idea.ltd ; ideanow.online

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