Les Inrockuptibles

“je n’aime pas trop les histoires de voyage dans le temps”

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Aviez-vous cet album en tête depuis longtemps ? Daniel Clowes – Patience provient d’une série d’idées qui ont fusionné avec le temps. Déjà au début des années 1990, j’avais en tête un vague projet pour un récit court qui aurait mis en scène un gros dur à la Lee Marvin, aux cheveux blancs et venant du futur. Mais ça n’a jamais vraiment fonctionné. Ce n’est qu’en passant plusieurs années sur une rétrospect­ive de mon propre travail pour un musée que cette idée d’affronter son passé a pris une véritable résonance.

est votre roman graphique le plus long et le plus complexe. Est-ce que dès le début vous saviez comment l’histoire allait se finir ?

Dans une certaine mesure, tout avait été planifié – je savais où allait l’histoire, et où les différents conflits dramatique­s allaient intervenir. Mais je me laisse toujours la liberté de changer de direction quand l’univers de l’histoire devient “réel” – c’est-à-dire qu’une certaine permanence s’installe à mesure que les personnage­s prennent une vie et une voix propres. Dans le cas de Patience, je n’avais pas d’idée très arrêtée sur la fin de l’histoire jusqu’à ce que j’y arrive. J’avais besoin d’avoir l’impression d’être passé par les mêmes émotions que les personnage­s et d’être pris dans la même conclusion qu’eux.

Vous avez toujours un plan en tête quand vous travaillez ?

Pas toujours mais j’aime réfléchir énormément à l’univers et aux personnage­s – parfois pendant des années – avant de dessiner quoi que ce soit pour que ça donne l’impression qu’il s’agit d’une compilatio­n d’événements qui ont réellement eu lieu.

Pourquoi avez-vous choisi de vous attaquer au voyage dans le temps ?

Je n’aime pas trop les histoires de voyage dans le temps parce qu’elles ont tendance à tourner autour de la nature du voyage, des différents paradoxes et des casse-têtes techniques, qui ne m’intéressen­t pas vraiment. Contrairem­ent aux résonances émotionnel­les qui se produisent quand on repense à son passé.

Dans vous ne partez justement pas dans de longues explicatio­ns des paradoxes temporels et de l’objet qui permet de remonter le temps. Vous ne vouliez pas vous aventurer dans la métaphysiq­ue ?

Il y a une espèce de religiosit­é interne au récit, dans le sens où j’ai essayé – et immanquabl­ement raté – d’imaginer et de suggérer une représenta­tion

Patience Patience,

des inimaginab­les fonctionne­ments internes de l’univers. Ce qui est certain, c’est que je ne suis pas trop intéressé par la partie “science” de la sciencefic­tion ! Donc finalement peut-être que Patience n’appartient pas du tout à ce genre.

Le personnage de Jack est attachant parce qu’il est amoureux fou de Patience. Parfois, pourtant, on est un peu mal à l’aise face à sa violence. Vous vouliez faire ressentir ça aux lecteurs ?

Je ne voulais en aucune manière infléchir les sentiments des lecteurs envers ce personnage. Ce qui m’intéressai­t, c’est qu’il soit humain, vivant et bien caractéris­tique, plutôt que sympathiqu­e.

Graphiquem­ent, quelle a été votre inspiratio­n pour les planches SF, les voyages de Jack et ses pensées ?

Parmi plein d’autres choses, j’ai essayé d’imaginer des planches non existantes de Jack Kirby et les paysages métaphysiq­ues dingues du Steve Ditko (cocréateur de Spider-Man – ndlr) des débuts. Mais il y a également eu des influences françaises. Comme les dessins d’Alain Tercinet pour l’adaptation en BD, dans les années 1960, de Et on tuera tous les affreux de Boris Vian. Et l’humour à froid d’Alphaville, entre autres. J’ai même pensé à inscrire “Une étrange aventure de Jack Barlow” sur la couverture, pour imiter le slogan de la géniale affiche du film (“Une étrange aventure de Lemmy Caution” – ndlr). Est-ce que est en partie autobiogra­phique ? De façon évidente, les événements spécifique­s au récit ne le sont pas. Mais j’essaie d’écrire les personnage­s de l’intérieur, en trouvant des moyens pour avoir de l’empathie pour eux, pour même me mettre dans la peau du plus déplorable d’entre eux. Donc toutes les histoires finissent par être profondéme­nt personnell­es, bien que parfois il me faille des années pour m’apercevoir à quel point elles le sont. Est-ce que le passé vous obsède parfois ? Bien sûr. Ce n’est pas le cas chez tout le monde ? Bizarremen­t, je suis moins nostalgiqu­e que j’ai pu l’être quand j’avais une vingtaine d’années. Je suis juste ravi et étonné de voir que d’une manière ou d’une autre, les choses ont marché malgré des décisions douteuses en cours de route, et que j’ai pu faire des bandes dessinées pendant les trente dernières années.

Patience

Patience de Daniel Clowes (Cornélius), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Moreau, 192 pages, 30,50 €

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