Les nouveaux monstres
Pour prendre le pouls d’une Angleterre vampirisée par des élites rapaces, le onzième roman de Jonathan Coe déploie des trésors d’humour et d’inventivité. Cinglant.
Amputation à la hache, énucléation, accrochage à un croc de boucher : pour en finir avec l’hydre du thatchérisme, Testament à l’anglaise alignait en 1994 un mémorable assortiment de trépas. Une hécatombe n’a toutefois jamais suffi à éradiquer le goût de nuire : vingt-deux ans après la publication du roman qui fit de Jonathan Coe une star de la littérature britannique, l’abominable famille Winshaw sévit à nouveau. Digne fille de sa mère – une virtuose de l’éditorial au vitriol, morte écrasée sous le poids de ses oeuvres complètes –, la jeune Joséphine, elle aussi journaliste, découvre le bouc émissaire idéal en la personne d’Alison, artiste lesbienne, noire et unijambiste. En l’accusant de fraude aux aides sociales, elle la fait envoyer en prison et devient l’idole de l’Angleterre xénophobe.
Dénonciation des méthodes de la presse tabloïd, du mépris de classe et de la spéculation immobilière telle qu’elle se pratique à Chelsea, où la valeur de certaines demeures “augmente de 10 000 livres par jour”… Comme Testament à l’anglaise, ouvrage auquel ses cinq épisodes offrent une suite indirecte, le onzième roman de Jonathan Coe brandit son manichéisme en étendard. De Londres à l’Afrique et du Yorkshire à l’Australie, les us et coutumes d’élites prédatrices sont épinglés avec une verve et une virulence parfaitement jouissives, dont font les frais mandarins universitaires, organisateurs de prix littéraires et producteurs d’émissions de téléréalité. En deux décennies, les certitudes de Coe se sont fissurées : dans un recueil d’articles paru en 2013, Notes marginales et bénéfices du doute, il voyait en la satire “l’une des armes les plus puissantes pour préserver le statu quo” et en son propre “pari sur le rire comme instrument de changement” un “échec total”.
Bien que Numéro 11 entre dans la catégorie des romans ayant pour sujet l’état de l’Angleterre, un malicieux déplacement