Seul au monde
Guy Delisle raconte à la première personne la captivité de l’humanitaire Christophe André en Ingouchie il y a vingt ans. Un huis clos absolu et fascinant. Avec un dessin minimaliste, épuré, uniquement dans les teintes gris-bleu,
En 1997, lors de sa toute première mission humanitaire en Ingouchie, une petite république de Russie jouxtant la Tchétchénie, Christophe André se fait kidnapper. Ce membre de Médecins sans frontières ne sait ni vraiment par qui, ni pourquoi – il apprendra juste que ses ravisseurs tchétchènes demandent une rançon d’un million de dollars.
Dans S’enfuir, Guy Delisle s’empare de cette terrible expérience, que le jeune homme lui a racontée. Ecrit à la première personne, l’album retrace toute sa captivité, soit quatre mois – et 430 pages – d’une existence angoissante, vide et monotone. Christophe mange des repas plus que légers, dort, réfléchit à des tentatives pour s’échapper, se lave – rarement –, fixe l’ampoule au plafond, se récite l’histoire napoléonienne, la plupart du temps attaché par des menottes à un radiateur.
Guy Delisle s’éloigne du reportage dessiné autobiographique qui a fait son succès, où il mettait en scène avec humour ses tribulations à Shenzhen, Rangoon ou Pyongyang. Mais il conserve néanmoins l’aspect intimiste de ses récits. De la même manière qu’il sait observer son environnement quand il fait de la BD de reportage, il a su écouter attentivement Christophe André et retenir la multitude d’émotions et d’états d’âme de l’otage – l’espoir d’être libéré rapidement qui se délite, l’incrédulité qui grandit au fur et à mesure que les jours passent, le décompte du temps de plus en plus difficile, la perte des repères, le découragement, la peur, la panique, l’épuisement…
des cases très répétitives et des monologues concis, il arrive à faire partager l’enfermement vécu par Christophe André. Grâce à sa maîtrise narrative, Guy Delisle sait mieux que personne mettre en avant le détail significatif, jongler entre silence, bruits et méditations et faire monter à degrés minuscules la tension dramatique. Ou l’art de mettre en scène un huis clos absolu. Anne-Claire Norot
S’enfuir – Récit d’un otage (Dargaud), 430 pages, 2 7,50 €