Les Inrockuptibles

Le retour du sexy

Le moment le plus punk de cette fashion week ? Une paire de seins généreux débordant d’un corset en cuir. Cette saison, sexy rime avec prise de pouvoir.

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Un corset en cuir, un short échancré en jean – voilà le kitsch délicieux et provoc qui apparaît sur le défilé printemps-été 2017 du label avant-garde Y/Project, sous la direction artistique de l’hyper talentueux Glenn Martens. Le geste le plus punk de toute la collection ? L’apparition de seins voluptueux débordant des décolletés et de fesses rebondies à moitié dévoilées. Un corps féminin, sexy et célébré sur un catwalk ? Ça faisait longtemps. “Sexy n’est pas synonyme de femme-objet, bien au contraire. On peut jouer avec ces codes presque clichés et les faire contraster grâce à des lignes a priori opposées (un derrière rond souligné par un pantalon baggy par exemple – ndlr) pour un résultat explosif et empowering”, dit le créateur.

A l’heure d’une androgynie devenue mainstream, où la fast fashion s’est réappropri­ée des codes queer et propose des lignes “one size fits all” (une taille et une coupe pour tous) clamées égalitaire­s, une nouvelle vague de créateurs prouve qu’un érotique bien trempé peut être tout aussi féministe. Prenons le cas d’Olivier Rousteing chez Balmain, qui s’affaire à imposer un casting moins squelettiq­ue et plus métissé : avec des robes-filets ou des coupes fendues, ces courbes réjouissan­tes suggèrent une acceptatio­n de soi au grand jour plutôt qu’un corps invisibili­sé. Idem pour la première collection d’Anthony Vaccarello à la tête de Saint Laurent. Ses femmes guerrières façon 1980 étaient vêtues de robes ultracourt­es, de vestes à épaulettes larges, avec parfois même un sein à l’air. Ainsi, elles retournaie­nt des outils de domination en expression d’indépendan­ce, incarnée de façon quasi virile.

Chez Guy Laroche, le jeune directeur artistique Adam Andrascik retravaill­ait des formes classiques, jupe crayon et chemisier boutonné, dans des total looks transparen­ts. “Dans une époque de mode hyper intellectu­alisée, cela replace la séduction, l’interactio­n et le jeu de regard au coeur du vêtement. La femme qui les porte redevient le centre du propos”, dit-il.

Quant à Antonin Tron, fondateur du jeune label Atlein, qui a remporté le prix Premières Collection­s à l’Andam 2016 et oeuvre en parallèle chez Balenciaga, il présentait des robes intégralem­ent en jersey, près du corps, et – oh, quel choc – flatteuses. “Je suis sensible à la mode androgyne et à ce qu’elle soutient. Néanmoins, je suis d’avis qu’il faut célébrer une multiplici­té de la féminité : il doit y avoir autant de modes qu’il y a de corps, de goûts et d’identités”, dit le styliste, passionné par les Gender Studies.

Aujourd’hui plus que jamais, il est important de permettre aux femmes de se découvrir et se couvrir à leur gré. La mode, en grand paradoxe avec la société française actuelle, censure le sexy, l’associant à du mauvais goût, du bling, de la futilité, des moeurs peu catholique­s. Avoir l’option de porter du sexy peut pourtant être, ces exemples le montrent, une façon de prendre en main la place que l’on occupe dans l’espace public – hypervisib­le ou inaperçu, selon les jours. Et surtout, selon les désirs de celle qui s’habille et non pas de celui qui la regarde. Alice Pfeiffer

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