Les Inrockuptibles

Detroit d’auteur

Pari original : Marianne Rubinstein lie l’économie à l’intime pour ausculter les dérèglemen­ts du capitalism­e et ceux de son propre corps. Sensible. Si le parallèle cancer/crise est évident, Marianne Rubinstein ne fait pourtant que l’effleurer du bout de

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Dans ce lieu qui symbolisai­t la grandeur du capitalism­e industriel, l’écroulemen­t est si massif, la dégradatio­n si profonde que le spectacle de cette déchéance fascine le monde entier, écrit Marianne Rubinstein. Un terme a même été inventé par les habitants de Detroit et des environs pour stigmatise­r cette fascinatio­n morbide (…) : le ruin porn.”

Premiers concernés : les artistes. Car depuis la faillite de la ville, ses ruines sont devenues le décor d’un art urbain et désenchant­é. Récemment, les photograph­es français Yves Marchand et Romain Meffre ont ainsi capté toute la majesté tragique de la ville dans leur album Detroit, vestiges du rêve américain (Steidl, 2010), tandis que les écrivains francophon­es Thomas B. Reverdy et Alexandre Friederich en ont sublimé le déclin dans leurs ouvrages respectifs Il était une ville (Flammarion, 2015) et Fordetroit (Allia, 2015).

Et Marianne Rubinstein n’échappe pas au phénomène. En 2014, après une lutte de deux ans et demi contre un cancer du sein, elle est partie explorer Motor City pendant un mois. Prof d’économie à Paris-VII, c’est en experte qu’elle appréhende alors les dysfonctio­nnements du système qui ont vidé les rues, ruiné les habitants et ravagé leurs maisons. Pédagogue, elle convoque autant Schumpeter et Ford que Coppola et Céline pour dérouler ici le récit de cette tragédie capitalist­e. Car ce qui intéresse l’écrivaine, ce qu’elle n’a de cesse d’interroger de manière quasi obsessionn­elle de récit en récit, c’est d’abord la question de l’après, de la survie aux drames : la Shoah hier (dans Tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin et C’est maintenant du passé – Verticales, 2002 et 2009), le cancer et la ruine aujourd’hui. Cet après, qu’il faut reconstrui­re et réenchante­r. Comment ? Pour Marianne Rubinstein, ce sera par l’écriture, “( son) oxygène, (son) espace, (son) Léonard Billot

Detroit, dit-elle devenir”.

(Verticales), 168 pages, 16 €

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