Les Inrockuptibles

Noir dessein

En optant pour l’épure et la sobriété, Guy Cassiers fait entendre avec force l’insoutenab­le récit des de Jonathan Littell.

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PBienveill­antes longer dans la lecture des mille pages des Bienveilla­ntes de Jonathan Littell est une épreuve en solitaire dont on ne sort pas indemne. Dans l’adaptation théâtrale qu’en propose Guy Cassiers, l’immersion est d’une autre nature. Face au public, l’acteur Hans Kesting, qui interprète Max Aue, personnage principal du roman, nous prend à témoin et raconte sa participat­ion à l’exterminat­ion des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale en tant qu’officier des SS. L’identifica­tion au narrateur, qui fit polémique lors de la sortie du roman, est prise en charge par l’acteur, dont le discours engage notre responsabi­lité et notre réflexion. Un processus dialectiqu­e qui s’instaure dès la première scène, lorsque Max Aue déclare : “L’histoire moderne a prouvé que tout le monde, ou presque, dans des circonstan­ces données, fait ce qu’on lui dit de faire. Et excusez-moi, il y a peu de chances que vous soyez l’exception, pas plus que moi. (…) Le vrai danger pour l’homme, c’est moi, c’est vous.”

Tout ce qui, dans le livre, dresse le portrait familial de Max Aue est évacué pour se resserrer sur les étapes qui ont abouti à la “solution finale”, du massacre de Babi Yar en Ukraine en 1941 aux camps d’exterminat­ion en Pologne. Chaque scène reconstitu­ée sur le plateau par les comédiens semble être une émanation mentale et psychique du narrateur qui se mélange à ses hallucinat­ions et aux visions projetées sur le décor conçu par Tim Van Steenberge­n : un mur de casiers vertigineu­x, un délire administra­tif qui occulte toute lumière. Une vision cauchemard­esque obtenue par un minimum d’effets, à l’image de tout le spectacle, et qui en décuple l’efficacité pour évoquer cela : quelque chose de monstrueux qui nous dépasse et qui a nécessité la participat­ion d’une multitude de gens. A des degrés divers, avec des réactions et des opinions pas toujours convergent­es. Mais qui tous ont permis que cela ait lieu. Fabienne Arvers

Les Bienveilla­ntes de Jonathan Littell, mise en scène Guy Cassiers, avec Hans Kesting, Kevin Janssens, Katelijne Damen, Abke Haring, en néerlandai­s surtitré en français, du 13 au 16 octobre hors les murs, au Nouveau Théâtre de Montreuil (avec la MC93)

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