L’amour dure cinq ans
Dans un numéro anniversaire passionnant, la revue Feuilleton rassemble des grandes plumes de la “littérature du réel”. Une déclaration d’amour aux écrivains-journalistes et à leurs textes. Le tout est rassemblé dans un objet élégamment illustré (par Aline
Ceci n’est pas un manifeste.” Voilà ce qu’on peut lire en édito du numéro 18 de la revue Feuilleton, qui fête ses cinq ans d’existence. Ceci n’est pas un manifeste mais, dans ce numéro anniversaire, la revue compile des textes réflexifs sur son propre champ d’action, à savoir la narrative nonfiction. Depuis cinq ans donc, Feuilleton explore le monde du grand reportage en s’inscrivant dans l’héritage du “nouveau journalisme”, qui fait appel, depuis des décennies, aux techniques de l’écriture littéraire et donc au brouillage de pistes entre fiction et réalité. “Nous avons oeuvré à la reconnaissance d’une littérature hybride, entre deux, difficilement cernable, forcément bâtarde, et désormais entendue comme une quasi-évidence”, résume Adrien Bosc, directeur de la publication et par ailleurs fondateur des Editions du sous-sol, maison mère de Feuilleton. “Quand nous parlions, il y a cinq ans, de narrative nonfiction, creative nonfiction, littérature du réel, ces termes sonnaient comme des bizarreries.”
Aujourd’hui, la revue donne la parole à des écrivains-journalistes pour faire le bilan de ce travail documentaire. On y retrouve, comme toujours, des traductions de classiques américains mêlées à des créations originales autour de cette “littérature du réel” – expression soustitrant ce numéro spécial de Feuilleton – qui use et abuse librement des dialogues, de la description de détails, de l’utilisation du “je” et donc de la subjectivité.
Pour Adrien Bosc, l’objectif est évidemment d’observer et de comprendre le monde, mais “loin des visions caricaturales des journaux d’opinion”, et en prenant conscience d’une multitude “de réalités toujours plus complexes qu’une vision rassurante et pourtant débile d’éditorialiste”. Joan Didion raconte ainsi sa pratique de la prise de note (dans un texte de 1966) ; Ivan Jablonka théorise un “troisième continent” de la littérature, entre le romanesque et les sciences sociales (texte inédit) ; Gay Talese se souvient de la naissance de sa vocation d’écrivainreporter dans la boutique de ses parents, où les clients venaient se confier (2003) ; Philippe Vasset explique pourquoi il faut “écrire en position de faiblesse” pour mieux capter le réel (texte inédit), etc.
faisant lui-même preuve d’une volonté d’appréhender le journalisme autrement : en 192 pages, Feuilleton se lit bel et bien comme un roman ou un recueil de nouvelles. Une forme attestant par ailleurs des évolutions à venir dans le monde de la presse. “Il est certain que la migration du journalisme vers l’édition va s’accélérer, estime Adrien Bosc, et le long format n’aura bientôt plus sa place dans les magazines et journaux. Aux Etats-Unis, même le New Yorker réduit la voilure.” Adrien Bosc n’est pourtant pas du genre pessimiste en ce qui concerne cette narrative nonfiction ou “littérature du réel”, entendue comme forme de journalisme au plus près du monde et de la vie. “Je rêve d’un hebdomadaire”, conclut-il. Maxime de Abreu
revue Feuilleton (Editions du sous-sol), 192 pages, 15 €, en librairie retrouvez l’intégralité de cet entretien sur