Les textes de Dylan sont puissants tout seuls, et le sont encore plus quand il les chante
honest” (“pour vivre en dehors de la loi, tu dois être honnête”), “He not busy being born is busy dying” (“celui qui n’est pas occupé à naître est occupé à mourir”), “You don’t need a weatherman to know which way the wind blows” (“pas besoin de monsieur météo pour savoir où souffle le vent”) sont quelques-unes de ces punchlines précieuses qui servent de boussoles éthiques dans une existence.
du Pulitzer au Nobel Il faudrait bien sûr une somme de sept cents pages pour analyser le corpus textuel océanique de Robert Zimmerman (ce mirifique pavé existe, c’est Bob Dylan – La totale de Philippe Margotin et Jean-Michel Guesdon, éditions du Chêne), mais en même temps, on hésite parfois à aligner des tonnes de mots sur ceux de Dylan. Ses chansons se lisent, s’écoutent et surtout se ressentent. Selon le poète américain Billy Collins, “les textes de Dylan tiennent seuls sur la page, sans sa voix, sa guitare et son harmonica”. Pour le critique Greil Marcus, au contraire, “ce qui donne du corps à chacune des paroles des chansons de Dylan, c’est la façon qu’il a de les interpréter”. Dans cette querelle picrocholine, j’aurais tendance à donner raison aux deux : les textes de Dylan sont puissants tout seuls, et le sont encore plus quand il les chante. Je ne saurais pas trop analyser ce que je ressens quand j’entends Dylan chanter Like a Rolling Stone ou The Lonesome Death of Hattie Carroll, Visions of Johanna ou Scarlet Town, je peux simplement dire que j’éprouve une émotion intellectuelle et sensorielle majeure, que cet alliage du verbe et de la voix électrifie toutes mes synapses, des tripes au cerveau.
Quand Pierre Assouline ose affirmer que le chanteur n’a pas d’oeuvre, on se demande s’il l’a lu ou écouté. Il faudrait lui rappeler que les textes de Bob Dylan sont étudiés à l’université, que certains figurent dans des anthologies de poésie des facultés d’Oxford et de Cambridge, que le barde avait déjà été reconnu pour “ses textes d’une extraordinaire puissance poétique” par le jury du prix Pulitzer en 2008. Il faudrait qu’il sache que pour des millions de gens, pas plus bêtes ni moins cultivés que lui, Bob Dylan incarne depuis longtemps une parole aussi essentielle que celle de grands écrivains dans la culture de ces cinquante dernières années. Finalement, après réflexion, ce Nobel de littérature décerné à Dylan n’est ni une surprise, ni une révolution, mais l’imprimatur longtemps retardé d’une évidence.