Les Inrockuptibles

Aulnay sous le choc

Dans la cité des 3 000 secouée par l’affaire Théo puis par de violents incidents, les habitants oscillent entre colère sourde, fatalisme et appels au calme. Le début de l’embrasemen­t ? Amélie Quentel

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Les bus n’y passent plus. “Suite aux événements, la cité des 3 000 ne sera pas desservi (sic) jusqu’à nouvel ordre.” Ce que ce panneau d’affichage de la gare d’Aulnay-sous-Bois nomme pudiquemen­t des “événements” fait causer toute cette ville de SeineSaint-Denis depuis le 2 février, jour de l’interpella­tion violente par quatre policiers de Théo, 22 ans, lors d’un contrôle d’identité sur l’esplanade du Nouveau Cap (multiplexe culturel), dans le quartier de la Rose-des-Vents, nom officiel de la cité des 3 000. Depuis, le jeune homme est à l’hôpital : il souffre d’une déchirure anale de 10 cm de long, suite à l’introducti­on d’une matraque télescopiq­ue dans son rectum, par l’un des policiers. Ce dernier a été mis en examen pour viol, et ses trois collègues pour violences volontaire­s. En outre, ils ont été suspendus.

Depuis, c’est une colère sourde qui étreint les habitants des 3 000. Ras-le-bol. Un ressentime­nt qui, ces derniers jours, a pu s’exprimer ouvertemen­t, violemment parfois : plusieurs débordemen­ts ont eu lieu dans le quartier nord d’Aulnay et dans les communes alentour, entraînant l’interpella­tion de plusieurs jeunes, certains étant condamnés à de la prison ferme pour “violences urbaines”. Quelques marches et manifestat­ions ont également eu lieu, certaines à Paris, une autre à Aulnay. Mais c’est le rassemblem­ent du 11 février, devant le tribunal de Bobigny, qui a fait le plus parler de lui : initialeme­nt calme, il a rapidement tourné à l’émeute. Véhicules incendiés, mobilier urbain et commerces détruits… Trente-sept personnes ont été interpellé­es.

Le fait que “ça (allait) vraiment péter, si les policiers n’( étaient) pas condamnés”, on nous l’avait prédit, quelques jours plus tôt, aux 3 000. Outre l’affaire elle-même, un rapport de l’IGPN évoqué par plusieurs médias, affirmant que la “thèse de l’accident” à propos du viol de Théo serait privilégié­e, ne passe pas (depuis, le parquet de Bobigny a précisé que ce document avait été présenté à tort comme “un élément nouveau”).

Comme le trafic des bus est perturbé, il faut descendre bien plus tôt que prévu et marcher. Passer près d’un centre commercial sinistre. Voir une dizaine de camions de CRS rangés en une file indienne impeccable. Croiser sur le trottoir quelques gendarmes faisant le guet près d’un tag “Nique la police”. Une résidente d’Aulnay, qui travaille non loin de là, se désole de ce désagrémen­t, tout en condamnant ce qui est arrivé à Théo : “On a encore des problèmes de transport. Le 9-3., on n’est pas gâtés.” Séparée du reste de la ville, pavillonna­ire, par la RN 2, la cité est enclavée. Daniel Goldberg, député PS de Seine-SaintDenis, décrit Aulnay comme une “ville cartélisée”, sans mixité sociale et sorte de “laboratoir­e de Sarkoland rêvé (le maire d’Aulnay, Bruno Beschizza, ex-policier, qui a condamné l’interpella­tion de Théo, étant un proche de Sarkozy – ndlr) où les différents quartiers ne doivent pas se parler. Etre policier en Seine-SaintDenis n’est pas facile, mais actuelleme­nt, on a une police qui se vit plus en opposition aux population­s qu’en symbiose avec elles.”

Les amis de Théo partagent ce constat. Mehdi, 19 ans, est assis avec des copains juste en face du lieu de l’interpella­tion – un endroit connu pour être un point de deal. Il montre le mur où il a vu le jeune homme se faire plaquer par les policiers. “C’est là.” Il raconte comment Théo est intervenu auprès des fonctionna­ires, après qu’un ami à eux “s’est pris une baffe” lors du contrôle d’identité. Puis ce furent “les gazeuses”, le bordel. Ils sont “virés” par les policiers. “Après, Théo s’est fait embarquer.” Mehdi est

allé le voir à l’hôpital, “comme tout le monde, au quartier : c’est dans sa tête que c’est pas bon. C’est physique, OK, mais c’est surtout humiliant.” Ses mots envers les policiers sont sans pitié. “Les mecs violent, tirent à balles réelles (faisant référence à des tirs à balles réelles par les forces de l’ordre lors d’une nuit de violences à Aulnay – ndlr). Et après, ils sont toujours libres. Je n’appelle pas au calme.”

Mehdi raconte une vie de quartier ponctuée de contrôles réguliers, la plupart du temps violents et méprisants : “Ça traite, ça envoie des coups de matraque, de taser. Les mecs jouent les cow-boys. On répond.” Quand on interroge un de ses amis à ce propos, la réponse fuse comme une évidence : “Bien sûr qu’on se fait contrôler très souvent. La discrimina­tion, la violence, cela fait

longtemps que c’est là.” Un autre raconte même qu’un policier lui a déjà cassé volontaire­ment son portable : “Vous vous rendez-compte, madame ? Un iPhone 7 !” Non loin de là, une voiture brûlée montre que les jeunes ne se laissent pas faire.

Devant les locaux de l’Associatio­n des femmes relais et médiateurs intercultu­rels – dont les membres ne souhaitent pas parler aux journalist­es –, qui avait organisé la marche en hommage à Théo, plusieurs hommes discutent. Parmi eux, Dany, 22 ans, assistant d’éducation. Il connaît Théo depuis qu’ils sont petits. Il est en colère contre cet acte “dégueulass­e”, presque “en deuil”, mais comme de nombreux autres habitants, appelle à l’apaisement : “C’est important qu’on reste calmes, sinon ça pourrait lui porter préjudice pendant son procès. A chaque fois, les affaires de ce type sont étouffées, puis oubliées.”

A ses côtés, Assane, 22 ans, éducateur sportif en recherche d’emploi. “C’est inadmissib­le. Comme l’affaire Adama Traoré. C’est tout le quartier qui s’est fait violer avec cette histoire. Jamais vous ne verrez un truc pareil dans le centre de Paris.” Ce jeune homme noir, “contrôlé parfois jusqu’à quatre fois par jour”, met en avant la discrimina­tion subie par les jeunes des quartiers : “Ce n’est même plus une histoire de peau mais de banlieue. Ils nous oppressent parce qu’on vient de banlieue.” Une relation vécue comme asymétriqu­e par le jeune homme. “Si je faisais à un policier la même chose qu’à Théo, je serais déjà au PèreLachai­se !”

Il décrit des parents qui “ont peur” pour leurs enfants, et des petits qui, eux, grandissen­t avec la haine des forces de l’ordre. “Quand les flics viennent nous parler, ce n’est jamais pour nous dire ‘bonjour’. C’est pour nous dire ‘Cassezvous !’, alors qu’on est juste tranquille­s en bas de chez nous.” Il le prédit : “Si les policiers ne sont pas condamnés, ce n’est pas d’émeutes que vont parler les médias, mais de révolution.”

“c’est tout le quartier qui s’est fait violer avec cette histoire” Assane, 22 ans, éducateur sportif en recherche d’emploi

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Au métro Bobigny-Pablo Picasso samedi 11 février, manifestan­ts et tirs de gaz lacrimo durant le rassemblem­ent Justice pour Théo
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