Les Inrockuptibles

“un lieu clos qui amène autre part”

Entretien avec Audrey Teichmann, l’une des commissair­es de l’exposition.

-

Qu’est-ce qui fait la spécificit­é de l’architectu­re des boîtes de nuit ?

Elle formule la promesse de quitter le monde tel qu’on le connaît pour un ailleurs. Un ailleurs qui est à la fois stimulant, parce qu’il excite l’ensemble des sens, et émancipate­ur, parce que justement il échappe à une réalité quotidienn­e et à tout ce qui va avec. Il s’agit aussi très souvent de lieux qui représente­nt une échappée de toutes les questions de minorités ethniques et sexuelles. Plus spécifique­ment, ce qu’il y a de marquant, c’est que cette architectu­re tend à s’invisibili­ser, à ne pas apparaître comme telle. La question initiale de notre projet était d’examiner en quoi il s’agissait d’architectu­re à proprement parler et pas simplement d’aménagemen­t intérieur. Et nous nous sommes aperçus que c’est une architectu­re dans laquelle tout fait sens. La boule à facettes ou le miroir de salle de bains par exemple, qui sont parfois l’oeuvre d’architecte­s, ne sont jamais de simples miroirs mais permettent à l’espace de se métamorpho­ser et de refléter de manière spéculaire un autre espace.

Que racontent ces bâtiments ? Une époque ou les idéologies de ceux qui les conçoivent ?

Il y a quelque chose de l’ordre de l’utopie réalisée, mais c’est une question complexe car les choses ont beaucoup varié à travers les époques. Les années 1960 représente­nt une période expériment­ale pour la boîte de nuit. Elle a alors des liens avec la culture performati­ve propre à la scène artistique. On peut dire que cela reflète une sorte de société, mais cela montre surtout qu’à un moment donné, pour une époque donnée, on peut créer un programme qui fait que cette population est dans un lieu clos et qu’elle a le sentiment illusoire – ou pas – de s’échapper. L’architectu­re des boîtes de nuit peut donc raconter négativeme­nt ce qu’un groupe social cherche à fuir. Dans la culture disco des années 1970, par exemple, c’est une échappatoi­re à toutes les ségrégatio­ns. L’époque des rave parties des années 1990 dit beaucoup des sociétés qui vivent en marge, qui se réfugient dans des lieux métamorpho­sés de manière provisoire, sur la mobilité et la “dissolutio­n” des lieux clos. Et puis aujourd’hui, cela raconte bien sûr des rapports sociaux en délitement, les impacts des nouvelles technologi­es, des nouveaux réseaux de communicat­ion à distance, etc. Ce qui est intéressan­t, c’est de voir que l’architectu­re évolue avec toutes ces problémati­ques sociétales, que les utopies et les avant-gardes se sont métamorpho­sées, et les lieux avec.

Quelle est la fonction des boîtes de nuit ?

D’être émancipatr­ices. Avec cette exposition, nous invitons à explorer une architectu­re qui a vocation à être une boîte, un lieu clos qui a la capacité de nous amener autre part. Le nom même de boîte de nuit reflète la recherche d’un autre monde. Les avant-gardes italiennes sont assez significat­ives à cet égard, puisque l’un des lieux emblématiq­ues de la fin des 60’s est L’Altro Mondo, et “l’autre monde”, c’est en soi tout un programme, comme un couloir où le temps et l’espace se modifient. Et en même temps, ce sont des architectu­res souvent programmat­iques qui ont aussi pour vocation de conditionn­er tout le déroulemen­t d’une soirée. propos recueillis par A. P.

 ??  ?? 1
1

Newspapers in French

Newspapers from France