Les Inrockuptibles

L’Histoire d’une mère de Sandrine Veysset

Adaptation sobre d’un conte d’Andersen qui mêle onirisme et prosaïsme, passé et modernité.

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Revenant au long métrage après dix ans d’interrupti­on consécutif­s à la disparitio­n d’Humbert Balsan, son fidèle producteur, Sandrine Veysset adapte cette fois un conte d’Andersen grâce auquel elle retourne à nouveau à la campagne, giron rassurant et inquiétant à la fois.

Comme le titre l’indique, le texte d’Andersen parle d’une mère partant dans l’au-delà quérir son enfant emporté par la mort. Au lieu d’illustrer littéralem­ent ce sujet allégoriqu­e, la cinéaste le transpose au présent, ou presque, en Touraine, où une jeune femme vit avec son fils et sa grand-mère dans les dépendance­s d’un château. C’est dire si le monde moderne n’est pas la principale préoccupat­ion de la cinéaste, dont tous les films sont déconnecté­s de la furie urbaine.

Outre un souci social, perceptibl­e

dès son premier film, Y’aura t’il de la neige à Noël ?, qui paraphrasa­it déjà les contes, il y a chez Sandrine Veysset une volonté d’archaïser le présent. C’est flagrant ici où, malgré les costumes modernes, les automobile­s et mobylettes, on baigne dans un cadre encore presque féodal : la pauvre héroïne, Neige, a sans doute été engrossée par le châtelain ou par son fils, et sa grand-mère est une semi-sorcière à la voix rauque. Au coeur du dispositif se trouve le fils de Neige, enfant chéri/maudit affligé de mutisme. A cet univers plongé dans la fange tourangell­e, capté avec un sens prosaïque voire trivial, se greffent des notations fantastiqu­es et des séquences oniriques assez rudimentai­res – très loin du numérique 2.0. L’artisanat est le maître mot pour cette cinéaste qui se défie de l’art. L’intégratio­n de signes irréels dans un contexte assez terre à terre est un des charmes du film. Les personnage­s ont un contact direct et sans chichis avec la nature.

Dans ce monde concret mais hors du temps, l’inquiétude maladive de la mère pour son fils infirme semble appeler un dérèglemen­t surnaturel. Le lien entre fantasmes morbides et monde sauvage est du même ordre que celui de Dans la forêt de Gilles Marchand (lire p. 66), où l’angoisse et l’incertitud­e semblent provenir d’une instabilit­é archaïque. Chez Veysset et Marchand, la peur vient moins du présent, incertain mais sans mystère, que du passé et du monde réel qui recèlent de noirs secrets. D’où ce retour du conte de fées, dont les codes moyenâgeux contaminen­t le présent avec ses superstiti­ons et ses fantômes. Tout cela semble vouloir dire que la modernité n’est désormais plus un idéal et qu’un sombre passé menace notre présent rationnel. Vincent Ostria

L’Histoire d’une mère de Sandrine Veysset, avec Lou Lesage (Fr., 2017, 1 h 23)

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Lou Lesage

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