Les Inrockuptibles

Funny people ?

Produite par Judd Apatow, Crashing est une nouvelle comédie à la fois sincère et un peu dépassée. Etrange mélange.

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Quand on s’imagine connaître le sérail des comédiens de stand-up américains de premier plan, un autre nom sort du chapeau et obtient sa propre série. De Bill Cosby à Garry Shandling et Jerry Seinfeld en passant par Ellen DeGeneres, Louis C. K. ou Aziz Ansari, le petit écran vorace s’est approprié depuis des décennies l’efficacité des pros de la vanne, hommes et femmes habitués à se jeter sans filet devant un public pas toujours captif ni bien intentionn­é. Leur fragilité, leur angoisse fondamenta­le font mouche. Ils deviennent des protagonis­tes souvent atypiques, aux confins de l’autofictio­n. Le spectacle de leur désolation triomphant­e s’incruste en nous.

Cette tendance culturelle profonde – sauf ici, où quelqu’un d’aussi doué que Blanche Gardin, par exemple, n’a pas encore son propre show – s’exprime aujourd’hui à travers Crashing, à ne pas confondre avec son homonyme anglaise drivée par la géniale Phoebe Waller-Bridge. HBO l’a commandée au producteur Judd Apatow et à Pete Holmes. Affichant 1,98 m sous la toise, ce comique et scénariste n’a jamais été capté par les radars français. Voici l’occasion de le connaître. La série raconte en effet l’histoire de… Pete Holmes, qui tente de percer dans le milieu du stand-up et trouve un matin sa femme au lit avec un Italien découragea­nt nommé Rocco. Sympa, musclé, mignon, bon amant, ce dernier lui enlève son épouse en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, avec un sourire et une sympathie pour sa victime absolument insupporta­bles. Avec lui se dessinent des scènes géniales. Un abîme existentie­l se creuse en direct. Le héros au visage de benêt émouvant poursuit sa chute entre squattage de canapés chez des collègues qu’il connaît à peine, tentatives de vannes plutôt périlleuse­s et tentations régressive­s – ses coups de fil répétés à maman valent le détour.

Selon son créateur, la série est inspirée de ses propres expérience­s

de débutant à New York, marquées par une série d’humiliatio­ns personnell­es et profession­nelles. Même très intime et bien menée, elle peine pourtant à convaincre vraiment sur la durée, peut-être parce que les enjeux autour de son personnage moteur semblent venus d’un autre âge. Un homme blanc en proie à des soucis d’identité et d’ego majeurs, tout cela ne date pas d’hier dans la comédie américaine, largement infusée par la question. Crashing semble arriver en bout de course, hors du monde et du contempora­in. Surtout, elle fait suite à plusieurs réflexions distanciée­s, ironiques, voire cruelles sur la question – Louie, Curb Your Enthusiasm… – qui n’ont pas encore été dépassées depuis.

Connu pour un podcast intitulé You Made It Weird (“tu l’as rendu bizarre”), Holmes manque en fait d’une… bizarrerie, qui permettrai­t de s’attacher à lui. C’est peut-être injuste, mais c’est comme ça. Lui préfère revendique­r une approche laborieuse de la comédie, celle de la microgêne que provoque une blague au timing incertain. Il met en scène ses petites frustratio­ns, ses angoisses (sexuelles notamment) sans jamais vraiment chercher à les rendre coupantes.

Dans une interview au site Vulture, il explique quel genre d’artiste il aime représente­r : “Je suis un type doux. Je connais plein de gens et notamment des comiques qui sont légitimeme­nt énervés, surtout quand ils commencent. C’est très bien. Mais je crois que tout détester est aussi un raccourci pour se construire une personnali­té.” Cela dit, de la douceur à la fadeur, il n’y a qu’un pas, que Pete Holmes franchit parfois innocemmen­t. C’est probableme­nt une qualité. C’est aussi un fardeau dans une époque dure qui exige de l’ironie. Olivier Joyard

Crashing à partir du 20 février, 22 h 15, OCS City

la microgêne que provoque une blague au timing incertain

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Pete Holmes

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