Les Inrockuptibles

Enfants de l’amour

Brillammen­t mise en scène par Sébastien Derrey, l’Amphitryon de Kleist reste une pièce à ajouter au dossier du débat sur les nouvelles méthodes de procréatio­n.

-

Bien avant l’instrument­alisation politique des polémiques sur la procréatio­n médicaleme­nt assistée (PMA) et celles sur la gestation pour autrui (GPA), il fut un temps où l’on pouvait se poser ces questions sur une scène de théâtre sans risquer l’accusation de vouloir battre en brèche les fondements de la société. Faute d’une science capable de réaliser des miracles, il suffisait alors d’organiser une rencontre entre des dieux de l’Olympe et de simples mortels pour transforme­r le public en membres éminents d’un comité d’éthique.

C’est en 1807 que, s’inspirant de Plaute et de la pièce de Molière, Heinrich von Kleist s’empare du mythe d’Amphitryon pour mettre les hommes et les dieux face à leurs responsabi­lités. Rappel des faits : voilà donc un dieu (Jupiter) qui prend l’apparence d’un humain (Amphitryon) et profite de son absence pour séduire sa femme (Alcmène). De leur union va naître un bambin de légende (Hercule).

La passionnan­te mise en scène de Sébastien Derrey rend la démonstrat­ion de Kleist limpide en jouant sur l’effet miroir des costumes : a-t-on affaire à un humain ou à un dieu travesti ? Notre attention s’en trouve décuplée et l’on boit comme du petit lait les arguments avancés par les différente­s parties. Au final, chacun sort gagnant du casse-tête.

Kleist part du principe qu’à partir du moment où il n’est question que d’amour, s’offusquer d’un tel chassé-croisé n’a pas lieu d’être. La volonté du dieu va se réaliser. Mais Amphitryon aime tant Alcmène qu’il propose à Jupiter de doubler la mise en lui accordant une paternité qui lui était jusque-là refusée. Il y aura donc deux enfants de l’amour. Avant d’accoucher du demidieu, Alcmène va pouvoir enfin donner naissance à un fils bien humain témoignant du mélange de son patrimoine génétique avec celui de son époux légitime.

Avis aux censeurs de tous poils : relisez vos classiques, la manipulati­on divine vaut bien celle de la science, et honni soit qui mal y pense puisqu’il s’agit pour un couple d’accéder au simple bonheur de donner la vie. P. S.

Amphitryon de Heinrich von Kleist, mise en scène Sébastien Derrey, du 22 au 25 février au Théâtre Garonne, Toulouse

Newspapers in French

Newspapers from France