Les Inrockuptibles

Fox News la réac, Ronald Reagan…

Le président des Etats-Unis n’a, malgré ses attaques répétées, pas que des ennemis dans le monde médiatique. La très réactionna­ire chaîne Fox News s’est ainsi transformé­e depuis son élection en véritable canal de propagande d’Etat.

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Trump est en guerre ouverte contre les médias. En meeting, il les livre en pâture à la foule. Dernièreme­nt, CNN, le New York Times, la BBC ont été virés du point presse de la Maison Blanche ; il est par ailleurs question de couper les vivres à la radio publique. Trump range les médias dans le même sac, les qualifie même d’“ennemis du peuple”. L’expression a connu son pic avec les purges de Staline. Sa remise au goût du jour confond les historiens américains : si l’insulte a un lourd bagage en Europe (inventée par Robespierr­e, reprise par les bolcheviks), elle sonne creux aux Etats-Unis. “L’expression est totalement étrangère à la culture américaine”, s’étonne Philip Short, spécialist­e du langage des dictatures au New York Times. Il est possible que Trump l’ait entendu de la bouche de Steve Bannon, qui se compare souvent à Lénine. En attendant, Trump s’aligne volontaire­ment sur une belle brochette de dictateurs. Tout président autoritair­e a son canal officiel : pour Trump, c’est Fox News.

Le pendant de cette dérive rapide, c’est le nouveau rôle de Fox dans le paysage audiovisue­l. La chaîne est devenue la voix officielle du régime. Fox se nourrit de Trump et Trump se nourrit d’elle. La chaîne développe des capacités divinatoir­es : ce qu’on lit sur le fil Twitter du Président a souvent été prononcé sur Fox dans les heures précédente­s. La connaissan­ce de Trump des enjeux mondiaux paraît calquée sur ce qu’il a regardé la veille, seul dans son lit en peignoir, ou dans la salle à manger présidenti­elle, où il a fait installer un écran plasma pour regarder la télé à l’heure du déjeuner.

Pour sa toute première interview de Président accordée à ABC, Trump défend son discours inaugural en citant Fox. “Ce discours était un carton plein. Regardez ce que Fox a dit… Ils ont dit que c’était un grand discours de Président… (…) C’était la couverture la plus honnête ! Vous, ABC, et d’autres chaînes, avez essayé de minimiser mon discours. Et ça, c’est très, très fâcheux, ce que vous avez fait…” Trump embraie sans logique ni transition sur son discours controvers­é au siège de la CIA. L’assistance a explosé l’applaudimè­tre, alors qu’il avait traité la veille les agents de nazis. Y avait-il des chauffeurs de salle ? Trump nie, en mentionnan­t un présentate­ur de Fox, Sean Hannity, par son seul prénom. “Il y avait tous ces gens qui applaudiss­aient, tous de la CIA… Quelqu’un a demandé à Sean : ‘C’était des gens envoyés par Trump, ceux qui applaudiss­aient ? ’ Non, il n’y a pas de gens envoyés par Trump… C’était des gens de la CIA.”

Trump ne s’informe pas que sur Fox. On comprend via ses tweets

qu’il regarde aussi les autres chaînes – pour surveiller le mal qu’elles disent de lui. Mais c’est probableme­nt sa source principale. Et c’est Fox qu’il conseille aux Américains de regarder, comme dans ce tweet du 24 janvier : “Bravo à Fox News, numéro un des audiences. Bien meilleures que FAKE NEWS CNN. Le public est intelligen­t !”

La chaîne s’approche au fil des semaines du modèle de Rossiya 1 en Russie :

mielleuse avec le chef de l’Etat, elle passe sous silence ses mensonges. La différence, c’est qu’elle distribue des éléments de langage à Trump – alors qu’il est peu probable que Poutine tire ses arguments d’émissions de télé. Par exemple, l’idée fixe d’“envoyer les fédéraux à Chicago” pour mettre fin à la guerre des gangs vient directemen­t de la bouche de Bill O’Reilly, polémiste de la chaîne qui a sa quotidienn­e en access prime time. Le 25 janvier, O’Reilly s’exclame : “Quarante-deux homicides à Chicago le mois dernier ! Vous savez quoi ? Si j’étais Président, j’enverrais les fédéraux... – Eh oui !.. C’est un carnage”, confirme son invité. Même jour, une heure plus tard, Trump suggère cette idée sur Twitter : “Si Chicago ne met pas fin au carnage actuel, j’envoie les fédéraux !” Dans les Etats-Unis de 2017, une interventi­on partisane sur Fox pèse aussi lourd qu’un rapport de la NSA. Trump ne se casse pas la tête, cite verbatim. Prend pour argent comptant des reportages qui ont assis la réputation de guignol de Fox à l’internatio­nal (on se souvient, en France, des fameuses “no go zones” parisienne­s où la police n’oserait plus aller…). Une réalité parallèle réunit le Président, la chaîne et les téléspecta­teurs en circuit fermé. Une narration simple, digeste, clôturée d’un monde trop compliqué.

Dernière victime en date, la Suède. Son modèle d’accueil des réfugiés classe le pays tête de turc numéro un de Fox, et donc du Président. Quand Trump hurle le 18 février dans un meeting en Floride : “Regardez ce qu’il se passe en Suède... EN SUÈDE !”, les Suédois se demandent de quoi Trump peut bien parler. Il fallait regarder Fox News la veille : un documentar­iste d’extrême droite rapporte une explosion de violence en Suède à un interviewe­ur complaisan­t qui, en retour, peste contre le “masochisme occidental”. De la même manière, qui est Nils Bildt ? Fox donne une tribune à ce “conseiller défense et sécurité nationale du gouverneme­nt suédois” le 19 février. Bildt prévient les téléspecta­teurs des activités “criminelle­s” et “déviantes” des migrants en Suède. “Des faits limpides, indiscutab­les...”, reprend le présentate­ur Bill O’Reilly. On saura plus tard que l’intitulé du poste n’existe pas dans l’armée suédoise. Aucun officier ne le connaît. Même le nom “Nils Bildt” n’existe pas : sous ce pseudo se cache un homme né Nils Tolling, repris de justice, installé dans le Montana. Mais peu importe. Car depuis, Donald Trump a déclaré que tout média suggérant que les migrants ne posent pas de problème en Suède serait rangé dans la catégorie “fake news”.

“Le soutien public et officiel de Trump à Fox News contre les autres chaînes d’info est quelque chose de jamais vu. Fox est devenue une télévision d’Etat”, s’inquiète Gabriel Sherman, journalist­e au New York Magazine et biographe du créateur de Fox, Roger Ailes. Le livre, The Loudest Voice in the Room, rappelle qu’Ailes a d’abord travaillé pour Nixon, et que dès les années 1970 germe en lui l’idée d’une chaîne d’info partisane, qui pourrait disséminer des “éléments de langage” au quotidien, pour un effet maximum sur l’opinion.

Beaucoup pensent que Fox n’était au départ pas ravie que Trump s’impose sur ses concurrent­s républicai­ns classiques. Gabriel Sherman soutient le contraire : “Roger Ailes a toujours utilisé Fox comme un mégaphone personnel” et serait fondamenta­lement raciste et nationalis­te. “Le pouvoir de Fox News a peu à peu tordu le parti républicai­n vers son incarnatio­n actuelle : populiste, nationalis­te, partisane du nativisme blanc.” Maxime Robin

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