Les Inrockuptibles

Temples : le volcan anglais

Véritable choc thermique, le deuxième album de Temples est la grande surprise pop du printemps qui arrive. Ce Volcano rempli de tubes flamboyant­s devrait propulser ces garçons très bien habillés vers tous les sommets.

- par Christophe Conte photo Jules Faure pour Les Inrockupti­bles

véritable choc thermique, Volcano, leur deuxième album, est la grande surprise pop du printemps. Rencontre

Parmi les personnali­tés originaire­s de Kettering, bourgade du Northampto­nshire située à 130 kilomètres au nord de Londres, Wikipédia a recensé quelques footballeu­rs, joueurs de cricket et golfeurs. On trouve également dans la liste une poignée de politicien­s de seconde zone, pas mal de soldats ayant servi dans l’armée britanniqu­e et un seul groupe de rock. Il aura ainsi fallu attendre les années 2010 pour que quatre gandins sapés comme des milords et dotés de chevelures extravagan­tes propulsent avec fracas le nom de Kettering dans les colonnes des magazines de musique.

La cité, connue surtout en Angleterre pour sa prospère industrie de la chaussure et de l’habillemen­t, ne pouvait faire moins que d’envoyer comme émissaires de telles gravures de mode. Dès les premières apparition­s de Temples, fin 2012, avec leur single Shelter Song, leur look trop impeccable­ment étudié dans la glace faillit d’ailleurs faire ombrage à la chanson, à son riff de guitare diabolique, à son beat et son souffle secs tout droit sortis du barillet du Revolver des Beatles. James Bagshaw, chanteur et guitariste à coupe de douilles Marc Bolan, le bassiste Tom Walmsley et sa panoplie gothique glam, Adam Smith le clavier et vague sosie de Joey Ramone comme le batteur Sam Toms et sa dégaine indie-pop 80 semblaient à la fois trop beaux pour être honnêtes et trop doués pour n’être qu’une mascarade fashion.

Un peu plus d’un an plus tard, début 2014, leur premier album Sun Structures permettait d’éclairer un peu mieux le profil de ces jeunes rétrograde­s, au compteur viscéralem­ent bloqué dans les sixties. Comme tant d’autres avant eux, ils déployaien­t un impeccable composite construit à partir des vestiges des Kinks, Pink Floyd, Small Faces et Stones, avec un savoir-faire et une fraîcheur assez bienvenus, au moment où les guitares et une certaine distinctio­n british éternelle semblaient totalement démonétisé­es.

Leurs concerts, construits autour d’une alternance de pop-songs accrocheus­es et de divagation­s psychédéli­ques un peu caricatura­les, laissaient la même sensation partagée. Ce groupe catalogue avait-il un futur à envisager ou serait-il balayé à la manière des modes saisonnièr­es, soldé comme une collection de prêt-à-porter ? Une chose est certaine, personne n’aurait pardonné aux Temples un deuxième album façonné d’après le même patron que le premier.

En fin d’année dernière, un premier single entêtant,

Certainty, apportait un fracassant début de réponse. Batterie martiale, énorme basse synthétiqu­e, gimmick de clavier pénétrant le cerveau comme une scie circulaire pour y laisser entrer une mélodie à trois étages : on reconnaiss­ait vaguement la maison mais les meubles, à l’évidence, avaient bougé. Le titre de l’album, Volcano, livrait en outre une indication sur la secousse à venir : le retour des Temples allait être éruptif. Confirmati­on, au centuple, lorsque l’album déboule comme une coulée de lave fluorescen­te, provoquant un choc thermique de grande ampleur comme aucun disque de pop anglaise n’était parvenu à le faire depuis des lustres.

En douze chansons effervesce­ntes et impossible­s à oublier, les Temples semblent avoir grandi et embelli sans avoir prévenu personne. “Dès qu’un morceau ressemblai­t trop à ce que nous avions fait auparavant, indique Tom Walmsley, on se débrouilla­it pour le produire de manière totalement différente. L’écart entre les deux albums repose essentiell­ement sur ces choix de production. Le processus d’écriture reste le même, on ne s’est pas posés en se disant qu’on allait tout changer.”

Au départ, les quatre Temples n’envisagent pas d’entreprend­re eux-mêmes les travaux de ravalement.

Ils font pour cela appel à un expert, le gourou albinos David Wrench, un Gallois qui a pas mal bousculé les pistes sur les albums de FKA Twigs, Caribou ou Jungle. Mais ce corps étranger s’adapte assez mal à l’organisme du groupe, lequel remballe vite ses affaires et retourne dans son studio de Kettering pour entreprend­re sa mue sans aide extérieure. “Le seul constat que nous pouvions faire, poursuit James Bagshaw, c’est que le premier album était un peu schizophré­nique. On y trouvait un mélange hétéroclit­e de toutes les choses que nous avions composées depuis des années, alors que pour celuici nous cherchions plus de cohérence. Il fallait que l’on sente que ces chansons avaient été enregistré­es lors d’une même session.”

En cinq ans, les jeunes provinciau­x que l’on regardait localement comme une attraction dandy ont presque déjà conquis le monde. Sun Structures a cartonné en Angleterre (aidé par Noel Gallagher en attaché de presse bénévole) et aux Etats-Unis, où le groupe aura été suffisamme­nt remarqué pour être invité à jouer chez Jimmy Fallon et Ellen DeGeneres. Les premiers emballemen­ts à l’écoute de Certainty et Strange Or Be Forgotten, le ravageur second single extrait de Volcano, leur prédisent un avenir flamboyant de groupe de stades que James et Tom s’emploient déjà à éteindre. “Ceux qui nous imaginent dans les stades comme des tribuns, des conquérant­s prêts à tout, nous connaissen­t mal. On n’est pas du tout certains du potentiel commercial du nouvel album. Pour nous, Temples est toujours un groupe alternatif qui essaie d’écrire de bonnes chansons.” Leur louable modestie est étrangemen­t sincère pour un groupe pourtant si tape à l’oeil, et contrairem­ent à d’autres qui pensaient tout faire fondre sur leur passage (qui se soucie encore de Kasabian ou des Vaccines ?), c’est peut-être Volcano qui fera des Temples le groupe anglais actuel auquel rien ne résiste. Les nouvelles chansons sont solidement armées pour cela, à croire que sous la couche superficie­lle de leur pop psyché bien tenue sommeillai­t quelque chose de plus abrasif et inflammabl­e, que d’incendiair­es rasades de synthés au napalm ont réveillé avec la puissance d’un tremblemen­t de terre.

Dangereuse­ment addictif, avec ses refrains qui s’incrustent comme des radiations nucléaires, Volcano n’en demeure pas moins un album aux charmes complexes, absorbants, donnant l’impression littérale d’inviter à danser sur un volcan, les yeux cramés par le soleil (Born into the Sunset) et le corps entraîné dans une chute à pic. Rarement un disque de rock paru en Angleterre depuis le début de cette décennie aura tant misé sur les sensations physiques, chahutant tous les sens, et pourtant aucun n’aura été si plaisant et réconforta­nt à écouter en boucle. La magie Temples, timide sur le premier album, opère ici à chaque seconde, provoquant d’impensable­s alliances chimiques et d’inédites rencontres du troisième type. Le psychédéli­sme colorisé sur Photoshop de All Join In ou How Would You

Like to Go? évoque par exemple ce qu’aurait pu donner la fusion du Pink Floyd des débuts avec Duran Duran, quand le menuet électroniq­ue qui part en vrille de I Wanna Be Your Mirror enterre à lui seul le souvenir des cinq derniers albums des Flaming Lips. “L’une des grandes nouveautés pour moi, explique Tom Walmsley, aura été la découverte des soundtrack­s des films Disney. Je ne les ai pas vus quand j’étais gamin, et c’est tardivemen­t que je me suis intéressé à des musiques vraiment tordues, qui préfigurai­ent le psychédéli­sme dès les années 1940-50, en mélangeant des sons bizarres hérités de la musique abstraite avec des formes d’écriture enfantines – ce que l’on retrouvera plus tard chez Syd Barrett.”

A haute voix, James et Tom rêvent d’écrire à leur tour une BO et jetteraien­t volontiers leur dévolu sur Wes Anderson, si jamais ce dernier avait la bonne idée d’accuser réception. En attendant, ce sont des milliers d’images kaléidosco­piques qui défilent à grande vitesse à l’écoute de Open Air (du Tamla Motown futuriste embarqué sur aéroglisse­ur) ou du bien nommé Mystery of Pop qui sonne comme Queen téléporté au XXIe siècle. Même lorsqu’ils font les poches des Kinks (David Watts) et de T. Rex pour le titre Roman God-Like Man, les Temples agacent uniquement les gardiens du temple, tant leur panache et leur jeunesse les éloignent des traditionn­els pilleurs de sépultures et les placent plus volontiers du côté des collecteur­s art-pop à la Roxy Music.

Une chose est certaine, le destin de Volcano ne sera pas tiède. Ou bien il ratera complèteme­nt sa cible, restant comme l’oeuvre déraisonna­ble d’un groupe qui a cherché à s’approcher trop près du soleil et a fini en Icare dans l’indifféren­ce générale. Ou alors, il entraînera des millions d’adeptes dans son sillage et les Temples deviendron­t la secte la plus chic des prochaines années, proposant des voyages toujours plus fous à bord d’une capsule qui a déjà accompli ici une mission remarquabl­e. Inutile de préciser que, pleinement confiants en leur avenir, on a déjà réservé nos places pour la prochaine.

un album aux charmes complexes, donnant l’impression littérale d’inviter à danser sur un volcan

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