Les Inrockuptibles

Ni de gauche mais de droite

C’est au Touquet, dans la maison familiale de sa femme, qu’Emmanuel Macron vient se reposer. C’est aussi là qu’il a failli se présenter à la mairie sur une liste UMP dissidente. Récit d’un rendez-vous manqué.

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Bienvenue au Touquet, la plus élégante des plages françaises”, annonce le panneau à l’entrée de la ville. Un véritable joyau de la Côte d’Opale avec ses deux casinos, son polo club et son Westminste­r Hotel, palace style art déco bâti en 1924. Le Touquet est protégé des curieux par une luxuriante forêt de plusieurs centaines d’hectares où se cachent de somptueuse­s villas. Chaque week-end, cette petite ville de 4 500 habitants est prise d’assaut par la bourgeoisi­e et son cortège de voitures de luxe. La ville possèdant son propre aéroport, les plus fortunés arrivent en avion privé.

Dans les rues cossues du centre-ville, aux terrasses des cafés, les couples se ressemblen­t. Les hommes, souliers vernis, pantalon beige et cigare à la bouche, y côtoient d’élégantes dames en manteaux de fourrure et sacs de luxe au bras. Joaillerie ou haute-couture, il n’est pas permis à une grande marque de ne pas y avoir une boutique. Le Touquet-Paris-Plage – baptisé ainsi par le patron historique du Figaro, Hippolyte de Villemessa­nt en 1826 – est bel et bien une terre de droite. Au premier tour de la présidenti­elle de 2012, Sarkozy y a obtenu 60,47 % des voix contre 12,37 % seulement pour François Hollande).

Rue Saint-Jean, au coeur du triangle d’or touquettoi­s, s’érige la Monejean. Une magnifique demeure de quatre étages aux tuiles plates dans le plus pur style traditionn­el anglo-normand. C’est ici qu’Emmanuel Macron et sa femme Brigitte viennent se reposer dès qu’ils le peuvent. La maison est la propriété des Trogneux, la famille de madame Macron. Dans les rues commerçant­es alentour, tous connaissen­t ce power couple.

“Tout le monde l’appelle Manu, ici. Il fait presque partie des meubles”, souffle un serveur du Globe-Trotter, rue de Metz, à quelques pas de leur nid. Ces derniers temps, les retraites touquettoi­ses du couple se sont raréfiées. On le sait,

Emmanuel Macron, après avoir été ministre de l’Economie, a décidé de faire cavalier seul pour l’élection présidenti­elle. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il y a dix ans, l’ancien banquier a failli devenir le maire de la ville, sous l’étiquette UMP.

L’histoire est rocamboles­que. Chaque année, les résidents touquettoi­s les plus fortunés se rejoignent pour l’assemblée générale de l’Uprat, l’Union des propriétai­res résidents et amis du Touquet. Après les commodités d’usage, l’associatio­n propose à un invité de venir prendre la parole. Le 28 juillet 2006, c’est un jeune inspecteur des finances charmeur et espiègle, portant les cheveux mi-longs, qui vient évoquer la fiscalisat­ion du patrimoine et surtout l’ISF, que beaucoup paient parmi les sociétaire­s.

“Un golden-boy très sympathiqu­e”, se rappelle avec malice le président de l’associatio­n, Patrick Gonet. Ce sont des touquettoi­s, avec qui Macron jouait au tennis, qui ont soufflé son nom au président de l’Uprat. Après quaranteci­nq minutes de discours, le parterre, réuni dans un luxueux salon du Westminste­r, est conquis. La discussion se prolonge autour de coupes de champagne. Macron est comme un poisson dans l’eau dans la droite locale. Il plaide pour le non-remplaceme­nt des fonctionna­ires partant à la retraite tout en vantant les mérites de l’impôt. Face aux interpella­tions sur son profil de technocrat­e et son double discours, Macron crie au poujadisme.

Plusieurs membres de l’ancienne équipe municipale, Stéphane Marseille, Philippe de Beco ou Philippe Cotrel, maire du Touquet de 1995 à 2001, assistent à la scène. Réunis au sein d’une associatio­n baptisée Perspectiv­es, ils avaient ravi la municipali­té au baron local, Léonce Deprez, en poste depuis 1969. Mais en 2001, le vieux lion rugit une nouvelle fois et reprend son trône. Les jeunes loups entrent en dissidence. Cotrel, humilié de s’être fait reprendre la mairie, ne veut pas rempiler. Ils rongent leur frein. C’est là qu’intervient Emmanuel Macron qui apparaît alors comme un plan B tombé du ciel. C’est décidé, ils en feront leur nouvel héraut pour partir à la reconquête de la mairie.

S’il est membre du PS à cette époquelà – ce que personne ne semble savoir au Touquet –, Emmanuel Macron baigne dans un univers composé d’hommes de droite. “Il voulait se faire connaître”, témoigne Philippe de Beco. De plus, au niveau national, il ne souscrit pas du tout à la ligne socialiste portée par Ségolène Royal. L’élection législativ­e de 2007 se profile. Macron analyse la situation : investi par l’UMP et parrainé par Deprez lui-même, le sarkozyste Daniel Fasquelle semble intouchabl­e. Mais la situation est différente pour la mairie. Le scrutin aura lieu en 2008 et Desprez avait pensé installer son autre poulain, Hubert Flament, au poste. Mais ce dernier est victime d’un grave accident domestique.

Pour Cotrel et la bande de Perspectiv­es, le plan semble limpide. Macron est vite bombardé vice-président de l’associatio­n. Lors d’une réunion finale à L’Escale, une brasserie située dans l’aéroport, les conspirate­urs se réunissent pour mettre leur plan à exécution. L’ambiance est euphorique mais Cotrel va doucher l’assistance. “Emmanuel, pour être candidat à la mairie, n’oublie pas d’adhérer à l’UMP.” Le jeune inspecteur des finances blêmit, déglutit, puis répond : “Non, je ne veux pas d’étiquette politique. Si c’est ainsi, faites sans moi messieurs !” Il se garde bien de leur dire qu’il est déjà encarté au PS, bien qu’il n’y soit pas très actif.

La conspirati­on s’éteint avant même d’avoir débuté. Philippe de Beco revient sur l’épisode avec amerthume : “Il avait un costume bien trop grand pour cette tâche.” En plus de la députation, Fasquelle rafle la mairie au premier tour face à deux autres candidats de droite. C’est un certain Patrick Doussot qui remplace Macron en tête de la liste Union pour l’avenir.

De cet épisode, Emmanuel Macron ne se vantera jamais. Au contraire, dans un entretien au Nouvel Obs en 2012, il révisera l’histoire : “J’ai fait beaucoup de politique locale dans le Pas-de-Calais, dans la région de Berck, Etaples, Le Touquet, mais je n’ai jamais été investi. Finalement, j’ai eu deux chances : d’abord que les socialiste­s du Pas-de-Calais ne veuillent pas de moi et que Nicolas Sarkozy soit élu en 2007. C’est ce qui m’a poussé à devenir banquier.” Pourtant, Jean-Marie Krajewski, totem socialiste local, est formel : “On ne l’a jamais vu, il n’était inscrit dans aucune section locale du PS.” Julien Rebucci

“il avait un costume bien trop grand pour cette tâche” Philippe de Beco, dissident UMP

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Dans la maison du Touquet

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