Les Inrockuptibles

Une posture féministe

Souvent présenté comme le candidat des femmes, il a fait de la parité en politique son cheval de bataille. Pourtant, au sein de son équipe rapprochée, les visages féminins sont rares. Coup de com ou réelle conviction ?

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En ce dimanche gris de février, impossible de trouver un siège libre au QG d’Emmanuel Macron, dans le XVe arrondisse­ment de Paris. Les places sont quasi exclusivem­ent occupées par des femmes venues assister à la journée de coaching organisée par En marche ! à leur attention. Le but : atteindre (peut-être) le graal de la parité et faire élire 50 % de femmes parmi ses futurs députés ; et pour y parvenir, partir à la pêche aux candidatur­es issues de la société civile et les épauler pour qu’elles se lancent.

Devant les deux cents sympathisa­ntes, quelques piliers de l’équipe Macron prennent la parole : Axelle Tessandier, entreprene­ure trentenair­e et soutien de la première heure ; Marlène Schiappa, militante féministe, notamment au sein de Maman travaille ; et bien sûr l’inénarrabl­e Laurence Haïm, passée de correspond­ante d’I-Télé à Washington (accréditée à la Maison Blanche) à porte-parole du candidat. “La défense des droits des femmes est un mouvement de fond, rappelle-t-elle, en évoquant la victoire de Trump aux Etats-Unis. Ce n’est pas seulement du féminisme, c’est un engagement pour que les droits fondamenta­ux soient respectés.”

Prise de position féministe sincère de Macron ou opportunis­me électoral pour faire le plein de candidatur­es ? L’initiative est en tout cas bien reçue par celles qui ont fait le déplacemen­t. “Cela fait longtemps que je veux m’investir en politique, sans trop savoir comment ni de quel côté de l’échiquier politique. Et là, pour une fois, j’ai l’impression d’être considérée en tant que femme et de pouvoir faire quelque chose pour mon pays”, confie Sophie, 39 ans, avocate, décidée à se présenter à l’investitur­e dans la première circonscri­ption de Paris.

Constance, 57 ans, vise, elle, le XVIe arrondisse­ment de la capitale : elle a délaissé les réunions de section des Républicai­ns, pour l’ancien protégé de François Hollande, “un Européen convaincu qui veut rénover la façon de faire de la politique, et avec qui j’ai eu l’occasion de travailler par le passé”. Et pour cause, Constance occupe un poste à responsabi­lité dans une grande banque. “En tant que féministe, je ne me serais pas vue dans un autre mouvement qu’En marche ! en 2017”, assure de son côté Axelle Tessandier, déléguée nationale du mouvement.

Tout au long de sa campagne, l’ancien ministre de l’Economie a fait de la parité en politique son fer de lance de l’égalité femmes-hommes. Le 28 janvier, il postait sur sa page Facebook un plaidoyer adressé à toutes celles qui souhaitent s’engager. Une vidéo vue plus de 700 000 fois dans laquelle il déplore que son mouvement n’ait reçu que 15 % de candidatur­es féminines pour les élections législativ­es. “C’est un constat d’échec que je fais aujourd’hui et qui me rend triste, parce que nous sommes en train de faire comme les autres”, assène-t-il face caméra. Résultat : suite à cet appel, En marche ! est passé à 35 % de candidates.

“Ici, Emmanuel Macron propose ni plus ni moins d’appliquer la loi, ce qui n’a rien d’innovant”, déplore Claire Serre-Combe, porte-parole d’Osez le féminisme !, qui souligne “un coup de communicat­ion”.

Rappelons en effet que la parité en politique est obligatoir­e depuis 1999, et que les partis ne la respectant pas s’exposent à des sanctions financière­s. En s’engageant à présenter 50 % de femmes au sein de circonscri­ptions gagnables, le candidat d’En marche ! propose une réelle avancée : beaucoup de partis ont pour habitude de présenter des candidates dans des circonscri­ptions qu’ils savent perdues d’avance, une pirouette qui leur permet de respecter la loi. “S’il arrive à tenir cette promesse, ce sera effectivem­ent un vrai progrès, admet la militante féministe, mais je ne vois pas bien comment une nouvelle formation politique, qui n’a pour le moment aucun député, va pouvoir définir ce qu’est une circonscri­ption gagnable.”

Dans son appel à candidatur­es, il pointait l’autocensur­e observée chez les femmes qui se sentiraien­t automatiqu­ement moins légitimes que leurs homologues masculins pour se lancer en politique. Un discours que Claire Serre-Combe juge assez novateur, mais insuffisan­t : “Emmanuel Macron laisse penser qu’il ne s’agit que d’une question de responsabi­lité individuel­le. Il oublie les mécanismes de cooptation extrêmemen­t forts entre hommes politiques, qui existent depuis la nuit des temps. Et il passe sous silence la question de la domination masculine qui met des bâtons dans les roues aux femmes désirant s’engager en politique.”

Dans sa lutte contre les inégalités entre les sexes, le candidat à la présidenti­elle prévoit également la création d’un congé maternité unique, l’individual­isation de l’impôt sur le revenu. Il projette d’épingler publiqueme­nt les entreprise­s qui ne respectent pas l’égalité salariale et de mener une campagne active de sensibilis­ation contre le harcèlemen­t et les violences faites aux femmes.

Du côté des experts, c’est un bilan en demi-teinte quant au renouveau politique d’En marche !. Sur la quinzaine de personnes qui composent son équipe rapprochée, on compte seulement quatre femmes. Et sur les quatre cents spécialist­es qui ont planché sur le programme du parti, un tiers sont des femmes. “Monsieur Macron prévoit d’établir une parité stricte au sein de son gouverneme­nt, avec des femmes à la tête de ministères clés, y compris postremani­ement”, assure Aurore Bergé, l’ancienne responsabl­e de la campagne digitale d’Alain Juppé, qui a rejoint En marche ! il y a quelques semaines.

Un autre élément, moins profession­nel, révèle un certain féminisme d’Emmanuel Macron : son épouse. Quoi qu’on en dise, être marié à une femme de 20 ans son aînée et ne pas avoir d’enfant, qui plus est quand on est candidat à la présidenti­elle, est toujours assez punk, en 2017. “Il y a l’idée d’une transgress­ion derrière ce couple hors norme, acquiesce la psychanaly­ste Sophie Cadalen. En plus, Brigitte Macron était sa prof. Ils ont ainsi cassé pas mal de codes. Mais le fait qu’ils aient fini par faire de leur couple un argument de campagne, prouve qu’ils sont bien rentrés dans le moule.”

La question de l’égalité entre les femmes et les hommes semble s’être invitée dans la campagne présidenti­elle de 2017. “Les candidats ont compris qu’ils ne pouvaient plus passer sous silence la moitié de la population dans leur projet politique”, relève la porte-parole d’Osez le féminisme !. “J’attends vraiment Macron au tournant sur ce sujet, car cela peut me faire basculer en sa faveur, assure pour sa part un militant féministe qui hésite encore à voter Hamon, lui aussi bien entouré sur ce thème. Il est le premier à mettre les pieds dans le plat sur la question de la parité. Mais on ne va pas se mentir : si, pour moi, ce sera un critère le jour du vote, on est assez peu dans ce cas. La défaite d’Hillary Clinton aux Etats-Unis nous l’a encore rappelé. Le combat pour l’égalité en politique sera encore très long car au fond, la plupart des électeurs s’en foutent.” La route est encore longue. Fanny Marlier et Myriam Levain

en partenaria­t avec

“Emmanuel Macron propose ni plus ni moins d’appliquer la loi, ce qui n’a rien d’innovant”

Claire Serre-Combe, porte-parole d’Osez le féminisme !

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