Les Inrockuptibles

Le sportswear rhabille à la fois la haute couture et les teufeurs

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Fin février, le LVMH Prize dévoilait les demi-finalistes de son édition 2017. Chaque année, le groupe de luxe attribue la somme de 300 000 euros et un an de consulting à un jeune label prometteur et donne aussi le tempo des tendances haut de gamme. Parmi les nominés se trouvent Martine Rose, Londonienn­e connue pour sa marque streetwear aux baggies XXL ; la marque d’accessoire­s urbains très suivie par le milieu du hip-hop, Ambush ; ou encore GMBH, griffe berlinoise mêlant diverses cultures de rue. Quel point commun entre ces trois noms, et aussi avec plus de la moitié des créateurs nommés ? Un travail autour du vêtement de sport, jouant avec son ergonomie ou ses réappropri­ations undergroun­d. Ainsi se voit couronné le sportswear, déjà présent depuis plusieurs saisons, qui rhabille à la fois la haute couture et l’avant-garde, les clientes de l’avenue Montaigne et les teufeurs.

Si cette tendance explose aujourd’hui, c’est, du moins en France, sûrement grâce à Pigalle qui a su briser la frontière entre culture “high” et “low”. En 2015, la marque parisienne remportait l’autre prix majeur de la mode, l’Andam, grâce à un mix très métissé de hoodies et de T-shirts imprimés, aujourd’hui réalisés avec les ateliers Chanel. Et les exemples se multiplien­t. Vetements, le collectif dirigé par Demna Gvasalia qui s’affaire à remettre les sweatshirt­s aux manches trop longues et les joggings intégraux sur les podiums, cartonne.

En 2016, le Russe Gosha Rubchinski­y, dont l’esthétique fantasme une jeunesse populaire postsoviét­ique, était l’invité d’honneur de l’événement annuel de la mode masculine, Pitti Uomo. La marque de skate Supreme collabore avec Louis Vuitton autour de pièces aux logos XXL imitant ses propres contrefaço­ns. Avec Puma, Rihanna est à la tête d’une ligne dite “athleisure”, Fenty (d’inspiratio­n sportive mais destinée au quotidien). Idem pour la ligne Yeezy de Kanye West avec Adidas. Pour Guillaume Salmon, porte-parole de la boutique Colette, cet engouement aurait “quelque chose de profondéme­nt fédérateur entre les genres, les gens, loin de la sophistica­tion de ces dernières années.”

Cette union, qui semble roucouler, remonte pourtant aux années 2000. Maya Arulpragas­am, qui n’est pas encore M.I.A., vit en coloc avec la chanteuse du groupe britpop Elastica. Deux mondes sont en train de se croiser. D’un côté, la chanteuse d’origine sri-lankaise, adepte de sportswear bariolé, et ses sons fusionnant rap, reggae et sonorités Bollywood ; de l’autre, Jennifer Frischmann, tout en noir, petite copine de Damon Albarn, de Blur.

Pour Samira Larouci, journalist­e musicale anglaise, M.I.A. a incarné “le début de la musique et de la mode urbaine telle qu’on la connaît aujourd’hui : plus de cases fermées, un vrai miroir de la culture internet, un mashup culturel”. Elle a donné “l’impulsion à une génération hip-hop et streetwear qui cherchait à contrecarr­er le rock trop blanc, jeuniste et bourgeois en proposant une expression stylistiqu­e métissée et hybride”.

Aujourd’hui, ce “mashup” est au coeur du sportswear et fait sa modernité. Le terme, qui désigne la juxtaposit­ion de deux ou plusieurs styles opposés, est une approche chérie par les digital natives. On peut citer la DJ Venus X, qui élabore un style dit “Ghetto Gothic” et allie bottines Timberland, hoodies et jupe d’écolière. Elle dit “réconcilie­r Marilyn Manson et TLC, le rock et le hip-hop”. Les chanteuses de alt-r’n’b, Abra ou Tommy Genesis, qui portent des brassières de sport et des baggies avec des T-shirts Metallica. Leur but ? Utiliser la mode pour “redéfinir ce qu’on attend d’une jeune fille noire aujourd’hui”, lance Abra. Côté homme, le rappeur Young Thug porte des robes sur ses survêts ; ASAP Rocky, lui, opte pour des manteaux de fourrure et Travis Scott pour des jupes high-tech.

Le marché suit ça de près : Alexander Wang propose une ligne à Adidas ; Calvin Klein fait poser Abra, Tommy Genesis et Young Thug. Cette fusion engagée et stylisée apparaît aussi chez de jeunes labels. Martine Rose, l’une des demi-finalistes du prix LVMH 2017, cite le punk, le skate, le ska : “Ce sportswear n’est pas le pastiche d’une culture américaine mais s’enorgueill­it de sa fine connaissan­ce du courant undergroun­d, de sa façon de la connecter à des basiques”, dit-elle de ses chemises déstructur­ées portées avec des hoodies conceptuel­s.

Avnier, lancé par Sébastian Strappazzo­n et Orelsan, se réfère à la culture des années 90 parisienne­s, mais la détourne de manière unisexe et sans couleur. Nattofranc­o, créée par la FrancoJapo­naise Noémie Sebayashi, s’inspire de ces deux pays pour lancer un produit à son image, ultra-contempora­in, qui mixe “artisanat et culture pop”. On pourrait encore citer Applecore et ses ensembles en velours peau de pêche intégral, clin d’oeil aux rappeurs des années 2000, ou Self Made by Gianfranco Villegas, qui allie savoir-faire classique et amour de la culture r’n’b. Tous rappellent le pouvoir social et politique de la mode, qui permet de se réinventer, d’être vu et de promouvoir sa propre vision du monde. “Je crois au swag avant de croire au genre”, a déclaré Young Thug, qui a annoncé vouloir se marier en robe. Le cool avant la norme : voilà la promesse du sportswear en 2017. Alice Pfeiffer

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