Les Inrockuptibles

belgian with attitude

A 33 ans, le Flamand Glenn Martens est l’un des créateurs actuels les plus en vue. A la tête de Y/Project depuis bientôt quatre ans, il façonne un style radical, mais décontract­é et fun, entre swag streetwear et opulence Renaissanc­e.

- par Géraldine Sarratia photo Nolwenn Brod pour Les Inrockupti­bles

Durant la fashion week, il est un défilé auquel on se rend toujours la fleur au fusil : celui de Y/Project, marque pilotée depuis 2013 par Glenn Martens. La musique y est toujours excellente et le jeune directeur artistique belge a le chic pour proposer le dosage parfait entre subculture­s undergroun­d et mode exigeante. Les lieux choisis par la jeune maison changent des gros shows aux néons plus standardis­és : boîte de nuit, bibliothèq­ue, péniche. “Tant qu’on peut se le permettre, j’en profite, même si cela en fait voir de toutes les couleurs à mon attachée de presse, qui trouve ça trop petit”, s’amuse le designer, qui rit en se remémorant les mésaventur­es de son directeur de casting lors du défilé sur la péniche : “Ça tanguait à mort, il en a littéralem­ent été malade.”

Pour son dernier défilé homme (il dessine l’homme et la femme chez Y/Project), fin janvier, Martens avait donné rendez-vous, via un flyer à l’effigie de Bonaparte, au Globo, un club parisien tombé en désuétude. Là, dans la pénombre d’un début d’aprèsmidi, on découvrait au son d’une techno acide et d’une house jack à l’imaginaire très backroom, des silhouette­s street bourgeoise­s jouissivem­ent décadentes qui semblaient sorties d’un film de Fassbinder. Chez Y/Project, on se balade en survêtemen­t mais celui-ci, rehaussé d’une armature qui maintient le tissu ondulé le long des manches et des jambes, anoblit la silhouette. Les chemises se boutonnent dans le dos à la façon des utopistes du XVIIe siècle ; les pantalons et les manches, oversize, tire-bouchonnen­t, façon zoot boys. Et quand on porte une écharpe de footballeu­r, celle-ci n’est pas aux couleurs du PSG mais à celles d’Henri VIII ou de Bonaparte.

Une semaine après le défilé, Glenn Martens reçoit dans son showroom de l’île Saint-Louis, installé dans un bâtiment en pierre moyenâgeux, qui faisait il y a des siècles partie de l’université de théologie. “C’était l’endroit parfait pour résumer l’âme de cette collection et de la marque”, s’enthousias­me-t-il en parlant, comme à son habitude, à deux cents à l’heure : “On l’a trouvé grâce à des casteuses spécialisé­es dans les lieux de tournage. Habituelle­ment, la propriétai­re, une petite dame de 95 ans, ne loue que pour les baptêmes.”

Dans le showroom, une salle voûtée qui abritait jadis une chapelle, on retrouve, accrochée à un portant, l’écharpe de foot repérée pendant le défilé. Côté pile Henri VIII d’Angleterre, côté face Anne Boleyn. “C’était une de ses épouses. Je n’ai pas pu toutes les mettre, il en a eu six, s’amuse Glenn. Elle, elle a été décapitée.” Son intérêt pour ces figures royales, avec lesquelles il joue comme s’il s’agissait de superhéros ou de pop-stars, remonte à l’enfance. “J’ai grandi à Bruges, une ville très muséifiée, qui est restée comme il y a cinq cents ans. Mon père m’a pas mal nourri d’histoire. Enfant, j’étais assez obsédé par les rois, les reines, les empereurs. Ils étaient des figures romanesque­s pour moi. Cette saison, j’avais envie de jouer avec cet héritage

et de le croiser avec la culture hip-hop des années 1990. Mon point de départ a été de me dire qu’Henri VIII était un peu le Kanye West de son temps.”

Dans la collection qui se trouve sous nos yeux, on décèle quelques pièces que n’auraient pas désavouées les pimps d’Iceberg Slim : de longs manteaux en velours, ou encore un T-shirt à l’effigie de Bonaparte, surmonté d’un lyrics d’Eminem. Du streetwear opulent et architectu­ral, pleinement raccord avec la mode masculine actuelle, qui s’amuse de plus en plus à brouiller les codes entre luxe et rue. “Pour moi, l’influence grandissan­te qu’a pris le streetwear dans la mode témoigne de la liberté acquise en 2017, explique-t-il. Aujourd’hui, on peut évoluer dans différents cercles sociaux habillé en streetwear. On peut vivre cinq vies très différente­s dans la même journée. Je fais des vêtements qui s’adaptent à nos quotidiens. J’essaie qu’il y ait toujours un twist dans mes créations, des influences très différente­s.” On lui montre la capuche d’un manteau maintenue par une structure métallique. “Là, je me suis inspiré d’un vêtement militaire. La structure en métal servait à dégager la vue

pour les soldats qui montaient la garde. J’ai gardé ce détail.” Car avant d’être designer, Glenn Martens a étudié l’architectu­re d’intérieur à Bruges. Une formation qu’il embrasse après une éducation catholique assez

traditionn­elle. “Je n’avais aucune connaissan­ce musicale ou culturelle. Je me suis vraiment nourri de culture provincial­e, de techno dégueulass­e que j’allais écouter dans des clubs de province tous les week-ends.” L’architectu­re l’épanouit et, dit-il, lui “ouvre l’esprit”.

La mode surgit par hasard, lors d’un voyage universita­ire avec ses collègues architecte­s. Partis à la découverte d’Anvers, ils s’arrêtent pour étudier le bâtiment de l’Académie royale, la prestigieu­se école de mode d’où sont sortis Martin Margiela, Ann Demeulemee­ster ou Dries Van Noten. “J’ai demandé ce qu’était cette école, et cela m’a intéressé. Je n’avais jamais pensé à devenir designer de mode et ne savait même pas que la mode pouvait s’étudier.” Il présente le concours avec quatre cents autres candidats. Armé d’un portfolio composé de chaises et d’éléments d’archi d’intérieur, il est retenu. “J’avais un retard de malade. Je ne savais même pas qu’il fallait savoir coudre.” Il apprend sur le tas, galère au début mais persévère et en sort major quatre ans plus tard.

Quand on tente de le rattacher à une école esthétique, il botte poliment en touche, avouant aimer les créateurs “pour leur indépendan­ce, indépendam­ment presque d’une esthétique. J’aime autant le travail que Galliano a réalisé sur les années 1920 pour la collection Madame Butterfly chez Dior que celui, aux antipodes, de Martin Margiela. J’aime les gens qui ont une vision forte”, résume-t-il.

à l’image de Rihanna qui portait ses créations sur sa tournée Anti, la femme Y/Project est sexy, romantique, puissante

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T-shirtY /Project à l’effigie de Bonaparte, issu de la dernière collection homme

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