Kong: Skull Island de Jordan Vogt-Roberts
Le gorille géant a encore grandi. Mais son aura rétrécit.
Il y a une dizaine d’années, on disait qu’Hollywood avait perdu toute inspiration et ne sortait plus que des remakes. Ce n’est plus vrai, déjà parce qu’aujourd’hui on appelle ça des reboots, et surtout parce que l’usine à rêves n’a pas seulement changé le mot : elle a rénové toute sa façon de déglutir le passé en se gavant désormais de prequels, d’interquels, de spin-off – bref, en inaugurant le règne de l’“univers étendu”, qui conquiert avec ce Skull Island le mythe du gorille géant inventé en 1933 par Cooper et Schoedsack. Le but avoué par le studio Legendary Pictures : ériger un “MonsterVerse” (univers étendu des monstres) déjà entamé par Godzilla, et destiné à faire s’affronter les deux bestioles à l’horizon 2020. Nous sommes en 1971. Une agence secrète est envoyée explorer une mystérieuse île du Pacifique. Le film choisit cette époque pour des raisons avant tout stylistiques, qui lui réussissent plutôt : teintes chaudes et grasses bavant comme de la gouache, nuées d’hélicoptères sur fond de coucher de soleil rougeoyant, fumigènes colorés et rock’n’roll de circonstance – tout l’imaginaire de la guerre du Vietnam est convoqué dans cette version Grande Récré d’Apocalypse Now dont le rendu effleure par moments le chromo seventies testostéroné d’un Watchmen.
Mais encore plus vite qu’elle ne l’a fait dans les franchises de superhéros, la logique de l’univers étendu siphonne d’emblée ce Kong, qui a presque déjà la tête à ses suites tandis qu’il récite tout l’ordinaire du film d’île sauvage et hostile, sur les traces du Monde perdu. Héros insipide, intrigue convenue, sidekicks comiques trop prévisibles et antagonistes tout aussi banals forment le menu de ce film manquant cruellement d’originalité et d’implication, qui se vante certes d’avoir grossi trois fois la taille de son gorille, mais qui s’est désintéressé d’autant de ses humains. Théo Ribeton
Kong: Skull Island de Jordan Vogt-Roberts, avec Tom Hiddleston, Brie Larson, John C. Reilly (E.-U., 2 017, 1 h 58)