Les Inrockuptibles

La fabrique du trash

En s’inspirant de la déchéance d’une pop-star, Thomas Coppey signe un deuxième roman acerbe sur les dérives aliénantes de notre époque et son industrie du divertisse­ment.

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Question pour un champion : ancienne Disney girl et petite fille chérie de l’Amérique, je conquiers le monde à l’aube des années 2000 avec un tube de teen-pop faussement virginal, que je chante sapée en écolière aguicheuse. Propulsée, à moins de 20 ans, au sommet du star-system, je deviens l’une des machines à cash les plus lucratives de l’industrie en même temps que la proie favorite des paparazzi en meute. Blonde, riche et traquée, je pète complèteme­nt les plombs avant mes 30 ans et enchaîne les crashes de bagnoles, les sorties sans culotte et les cures de désintox. Au climax d’un décrochage vertigineu­x aux promesses de tragique furieuseme­nt romanesque­s, je finis par me tondre la tête sous les flashs des photograph­es hystérique­s. Reine de la pop hier, je suis devenue l’icône trash et le produit fini d’une société surmédiati­sée, dévorante et obscène. Je suis… ?

Quand s’ouvre le deuxième roman de Thomas Coppey, Divertisse­ment, inspiré du destin de Britney Spears, son héroïne Eden végète dans une retraite anticipée, dorée et médicaleme­nt assistée. Renvoyée à l’état de gamine couvée par son père et une armée d’assistants, la golden quadra n’a pas chanté ni dansé depuis dix ans. Enfermée dans son palace, elle passe ses journées à regarder la télé, dormir, ou à dormir devant la télé. Seule l’invitation d’un présentate­ur de late show en quête d’un buzz voyeuriste pour sa grande dernière va sortir la star de sa réclusion choisie.

En 2013, dans son formidable premier roman, Le Potentiel du sinistre (Actes Sud), le jeune Coppey dézinguait la finance post-Madoff et le monde de l’entreprise. Univers de fortunes soudaines, de chutes spectacula­ires et d’aliénation contempora­ine. Aujourd’hui, dans Divertisse­ment, si le marketing a remplacé le management, l’appât de la gloire celui du profit et qu’au business on a accolé le préfixe de show pour le clinquant, l’histoire que raconte l’auteur reste la même : celle des héros pathétique­s et fascinants de notre époque, purs produits d’un (star-) système qu’ils croient maîtriser avant d’en devenir les victimes sacrificie­lles, acteurs prisonnier­s d’une pièce hypnotique dont le spectateur-voyeur se repaît entre deux pages de pub. Mais comme le dit l’adage : “the show must go on”. Léonard Billot

Divertisse­ment (Actes Sud), 268 pages, 21 €

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