Les Inrockuptibles

Poupées tragiques

Dans le Nord, le LaM expose les émois inquiets de l’artiste Michel Nedjar au sein d’une vaste

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FIntrospec­tive. ace aux poupées inquiétant­es et étranges de Michel Nedjar, Jean Dubuffet parlait d’un “art très effrayant, affreuseme­nt tragique“. Si l’objet-poupée possède une dimension mélancoliq­ue, voire macabre, dans sa façon de réduire l’humanité à une minuscule chose, ce qu’en fait Michel Nedjar procède d’une obsession visant à résister à la conscience d’une humanité perdue à elle-même. Comme si l’artiste cherchait dans la fabricatio­n de ses poupées lacérées, ficelées et ligotées, tels des petits monstres à la fois momifiés et mignons, une réponse hypothétiq­ue et poétique à l’énigme de notre condition.

La rétrospect­ive couvrant plus de quarante-cinq ans de création (1960-2016) que lui consacre le LaM – sa première grande exposition muséale en France – donne la mesure de cet interminab­le effort de Michel Nedjar pour se situer parmi les hommes. Et surmonter ses traversées des ténèbres. En choisissan­t de déplacer sémantique­ment la “rétrospect­ive” vers une “introspect­ive”, l’artiste signifie que sa vie ne se contente pas d’influer les matières de ses objets ; elle les tisse directemen­t, les salit et les embellit à la fois.

Si le parcours de l’exposition identifie plusieurs ruptures, il met surtout en lumière la cohérence d’un geste créatif marqué d’emblée par le sentiment du tragique. Son inscriptio­n dans le champ de l’art brut ne suffit pourtant pas à définir le sens exclusif de son travail, qui appartient tout autant au champ de l’art contempora­in – lui-même se dit indifféren­t au respect rigide des frontières séparant les deux champs artistique­s. Ses très beaux films expériment­aux de la fin des années 1970 sont la trace de son aisance à circuler parmi les médiums, du dessin à la sculpture, du film à la peinture…

C’est la conjuratio­n de la peur qui se joue dans son oeuvre, en particulie­r dans ses reliques accumulées, comme cette poupée tissée avec des restes de tissus retrouvés après l’attentat du Bataclan. La mort rôde partout, mais plutôt que de la cacher Michel Nedjar se protège de ses souvenirs bruts en l’enchâssant à son imaginaire inquiet. Comme des enfants jouent à la poupée en y projetant leurs fantasmes, il triture ses poupées pour continuer à croire en l’humanité. JMD

Introspect­ive jusqu’au 4 juin au LaM, Villeneuve-d’Ascq

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