Les Inrockuptibles

The Shins, Jupiter & Okwess…

Sur un album miraculeux, les Shins continuent de sublimer la mélancolie grâce à des instrument­ations peaufinées et à un timbre diaphane. Rencontre avec James Mercer, génie discret de la pop américaine.

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Planqué derrière le nom The Shins, James Mercer incarne à lui seul ce groupe qu’il a fondé à Albuquerqu­e, à la fin des années 1990. Il en est la voix, le compositeu­r, l’homme-orchestre, le producteur et le seul membre d’origine. Nettement plus ouvert qu’à ses débuts, cet Américain sensible attribue son épanouisse­ment à sa nouvelle vie de famille (il vit désormais avec sa femme et leurs trois petites filles) et à sa collaborat­ion avec Danger Mouse pour le projet Broken Bells. “J’étais encore terribleme­nt timide jusqu’en 2008, expliquet-il. Le fait de travailler avec Brian (Brian Burton, aka Danger Mouse – ndlr) m’a forcé à sortir de ma coquille. Ça m’a aussi appris à mieux chanter.” Difficile de croire que ce timbre aérien, responsabl­e des harmonies vocales célestes de Saint Simon (2003), ait des reproches à se faire, mais cette métamorpho­se lui va à merveille.

“Je ne veux pas grandir, continue-t-il. J’ai peur de devenir adulte dans ma créativité et c’est ce dont parle Half a Million : cette peur, mes responsabi­lités en tant que père et mari, mais aussi ce besoin de rester créatif et d’être un songwriter essentiel.” Sur ce morceau, ses tirailleme­nts internes sont relégués aux textes, dans la musique se déployant des effets sonores pétillants et des instrument­s plus traditionn­els, entre technologi­e moderne et écriture classique. Dès son premier album, James Mercer ne s’est jamais contenté d’aligner ses joyaux folk-pop sans leur apporter un embellisse­ment sophistiqu­é,

avec autant de soin que de finesse d’exécution. “C’est juste une façon de communique­r avec quelques ornements”, déclare-t-il simplement.

Sur Heartworms, ces effets spéciaux sont plus élaborés qu’avant. Encore une fois, Broken Bells est passé par là. C’est à la fin de leur tournée, fin 2014, que ce nouvel album commence à prendre forme. James se retranche alors dans son home-studio, installé dans la grange réaménagée derrière sa maison, à Portland. Il accumule ses nouvelles chansons et concrétise d’anciennes idées. Pour décortique­r la genèse de ces nouvelles pépites, il prend sa guitare acoustique et nous joue la première version de Painting a Hole, qu’il a écrite il y a quelques années à Hawaii, où il est né. Il raconte que cette veine acoustique (d’une beauté cristallin­e, à nos yeux) ne le satisfaisa­it pas et que la solution lui est venue par le rythme de batterie qui domine le résultat final, éclipsant la guitare. On lui demande s’il a déjà perdu sa créativité. “Toujours. J’ai l’impression de chercher à tâtons dans le noir et d’avoir des coups de chance. J’essaie des accords à la guitare et parfois quelque chose finit par arriver. J’ai plus l’impression de creuser que de sculpter.”

Guitare à portée de main, il se souvient des étapes qui ont façonné sa passion pour la musique : sa première envie de prendre des cours de piano pour ne pas ressembler à son père guitariste, sa première cassette audio de Steve Miller, ses découverte­s quand il vivait en Angleterre dans les années 1980 (The House Of Love, My Bloody Valentine, Joy Division…). Mildenhall, l’un des morceaux de Heartworms, aborde d’ailleurs cette période où il habitait dans le Suffolk. Il revient aussi sur le film Sid et Nancy (Alex Cox, 1986), qui l’initia au punk et à une attitude rebelle, sur ses coups de coeur plus récents (Ariel Pink, Parquet Courts, Angel Olsen, Courtney Barnett) et sur ses premières fois sur scène, dans des clubs d’Albuquerqu­e à la sono miteuse, où il devait pousser sa voix au maximum pour se faire entendre au-dessus des instrument­s.

Aujourd’hui, il peut se concentrer sur l’interpréta­tion. “Le meilleur moment en concert, c’est quand tu sens tes poils se dresser sur tes bras. Ça peut même m’arriver d’avoir les larmes aux yeux en chantant, quand j’ai l’impression que le sentiment de la chanson se propage et que cette communicat­ion est palpable. J’en ai la gorge nouée, là.” Emporté par l’émotion, les yeux mouillés, il doit s’arrêter de parler. On lui demande s’il a aussi des moments de joie sur scène. “Oui, confirmet-il en retrouvant le sourire. Je crois que c’est une forme étrange de mélancolie et d’euphorie. On devrait inventer un nouveau mot pour ça : la mélanchori­e.” Il nous offre ainsi la définition parfaite de cette musique qui va droit au coeur. Noémie Lecoq

“je ne veux pas grandir. J’ai peur de devenir adulte dans ma créativité”

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album Heartworms (Columbia/Sony) concert le 28 mars à Paris (Trianon)

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