Les Inrockuptibles

Honneur à Notre Elue…

Brillammen­t mise en scène par Frédéric Bélier-Garcia, la dernière pièce de Marie NDiaye dénonce les dérives populaires et les moeurs des politiques pour alerter sur la ruine présente du rêve républicai­n.

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C’est à l’instant où le nom du représenta­nt désigné par le peuple sort des urnes que s’ouvre Honneur à Notre Elue de Marie NDiaye. Ce climax de la vie républicai­ne est relayé par une machine médiatique qui s’emballe. Filmant l’effervesce­nce autour de la tribune de l’Hôtel de Ville, Frédéric Bélier-Garcia témoigne de la déferlante du flux visuel en le projetant à de multiples échelles, jusqu’à saturer d’images un salon d’apparat désert, aux murs tendus d’une immense tapisserie des Gobelins représenta­nt une épique scène de chasse.

Comme un animal traqué, l’Opposant “pulvérisé” a trouvé là un refuge pour tenter d’analyser à chaud, après dix ans d’échec, les raisons de cette nouvelle “déculottée”. La ferveur bruyante de la liesse se superpose à un abîme de silence pour mieux faire entendre la solitude du perdant. Une belle idée qui donne le ton de cette mise en scène s’emparant du texte de Marie NDiaye pour en travailler chaque motif à la manière d’une précieuse dentelle.

Prenant la forme d’un conte moderne, Honneur à Notre Elue s’interroge sur la versatilit­é des choix populaires. Notre propension à vouer “un amour déraisonna­ble” à un représenta­nt puis à nous renier en le faisant passer à la trappe à l’échéance suivante. Isabelle Carré incarne Notre Elue, l’idéal toujours suspect d’une édile zéro défaut. Sauf qu’elle n’est pas d’ici, qu’on ne connaît pas son passé et qu’elle avoue elle-même n’avoir jamais connu ses parents. Prêt à tout pour une revanche, l’Opposant qu’incarne Patrick Chesnais pousse dans l’arène deux géniteurs obscènes joués par le couple impayable des hilarants Chantal Neuwirth et Jean-Paul Muel. La fausse révélation produit le scandale.

Débutant en légende sacrée pour tirer le portrait d’une sainte en politique, la pièce bascule avec la cruauté des rires dans la farce, et c’est le grotesque

qui gagne la partie. S’amusant de l’intricatio­n de ces deux formes de théâtralit­é, Marie NDiaye dénonce autant les aveuglemen­ts empathique­s que les détestatio­ns soudaines.

A l’époque du tweet tout-puissant et des opinions publiques girouettes, la pièce témoigne de la fin d’un rêve républicai­n, impuissant à contrer la fascinatio­n citoyenne pour les jeux du cirque. En pleine campagne présidenti­elle, l’écriture superbe de Marie NDiaye, l’excellence de la troupe et l’élégance de la mise en scène paraissent des gouttes d’eau sur la pierre brûlante de l’autel de la politique. Mais on ne prêche jamais totalement dans le vide et il ne sera pas dit que personne n’était prévenu. Patrick Sourd

Honneur à Notre Elue de Marie NDiaye, mise en scène Frédéric Bélier-Garcia, avec Isabelle Carré, Patrick Chesnais, Jean-Charles Clichet, Claire Cochez, Romain Cottard, Jan Hammenecke­r, Jean-Paul Muel, Chantal Neuwirth, Agnès Pontier, Christèle Tual, jusqu’au 26 mars au Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe

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