Les Inrockuptibles

Le blues électrocut­é de Gutxi Bibang

Réfugié dans un Londres fantasmé depuis les Swinging Sixties, le Basque Gutxi Bibang, et son blues électrocut­é, est l’invité sensation de la troisième édition de la Super Pool Party des Inrocks Les Bains.

- par Francis Dordor

réfugié dans un Londres fantasmé, le Basque est l’invité sensation de la troisième édition de la Super Pool Party des Inrocks Les Bains

Hit or hype ? Star en herbe ou succès sans lendemain ? Régulièrem­ent, la question revient à l’ordre du jour, depuis que la musique enregistré­e s’est muée en industrie. Avec Gutxi Bibang, on fait même face à un cas d’école. A 25 ans, cet enfant du Pays basque est le genre d’oiseau rare capable de tenir en haleine un microcosme très influent, composé de promoteurs, de cadres de compagnies de disque et de journalist­es, tous prêts à vendre les organes de leurs mères au marché noir pour dénicher la nouvelle sensation. Une seule chanson, System of a Gun, aura suffi pour leur coller le vertige. Visible sur YouTube, le clip révèle la dernière recrue en date d’un monde encore à peu près libre, fermement résolu à se ranger du côté du bruit et de la fureur. Rien à dire.

Pour qui serait tombé dans le coma en 1970, après un accident de patins à roulettes ou l’injection malencontr­euse d’une dose d’héroïne coupée au sulfate de plomb et ne se serait réveillé qu’avant hier pile à l’heure d’Alcaline, le mec a tout bon. C’est simple : on dirait Jimi Hendrix cherchant à humilier Led Zeppelin. D’abord, il y a cette veste militaire avec brandebour­gs et galons dorés, portée en toute négligence, qui, bien plus qu’une esthétique, définit un esprit, une rébellion, mieux : une mutinerie ! Rares sont ceux qui, dans l’histoire du rock, se sont montrés dignes de revêtir une tenue aussi chargée de symboles, comme l’ont fait Paul Revere and The Raiders, les Beatles, Phil Lynott de Thin Lizzy et, bien sûr, Jimi Hendrix. Sans oublier (comment le pourrait-on ?) notre rock collection­neur national : Laurent Voulzy. Ensuite, la coupe de cheveux, un coiffé-décoiffé propre à défriser de jalousie Jacques Dessange en personne. Enfin, la musique qui siphonne le meilleur du rock des années délires avec la rage des années sinistrose­s. Guitare, basse, batterie et “wham bam thank you Mam !” En fait, System of a Gun n’est sans doute pas encore un tube, mais assurément déjà une fusée. Sinon, comment expliquer que ce rookie se soit retrouvé en un clin d’oeil, des plages pittoresqu­es de la côte basque espagnole aux clubs branchés de Londres et de Los Angeles ?

C’est du reste à L. A., où il s’apprête à donner un concert au Bootleg Theater, que nous joignons Gutxi (prononcez “goutchi)” au téléphone. Son histoire défile dans un anglais fluide, épicé, au fort accent ibérique, un peu comme si Rafael Nadal nous révélait un jardin secret caché derrière son court de tennis. “Je suis né à Bilbao en 1992 et j’ai vécu à Algorta dans une famille de migrants originaire­s de Guinée équatorial­e. Ce sont mes frères et soeurs plus âgés qui m’ont initié à la musique. J’ai grandi en écoutant les disques de Black Sabbath et des Doors. Je me suis toujours senti basque mais pas au sens où l’ETA le revendiqua­it. Moi, j’aime le surf et la piperade. La chose la plus extrême à laquelle je puisse faire référence concernant le Pays basque, c’est Kortatu et Negu Gorriak.” Bingo ! Un gars en mesure de citer deux groupes punks aussi fondamenta­ux que ceux-là mérite notre respect le plus concerné et surtout dissipe tout malentendu quant à une possible imposture. Face à notre curiosité, Gutxi s’empresse d’ailleurs de produire ses lettres de noblesse, au chapitre desquelles figurent en bonne place Lou Reed, le Velvet ou… Smashing Pumpkins.

A Londres, parrainé par la station indie-rock Radio X, Gutxi s’est produit dans deux clubs renommés, tels que le Water Rats (où Bob Dylan, les Pogues et Oasis ont fait leurs débuts londoniens) ou le Nambucca.

A ce stade, le maverick basque opère déjà en trio avec son ami Gary Lee à la batterie, et à la basse, sa petite amie, la rousse Tabatha Beu, originaire du Texas.

Sur la vidéo de System of a Gun, Tabatha révèle la facette la plus farouche de sa personne – pas un sourire, et nous ne pouvons que l’en remercier. Signe

encouragea­nt : le couple semble déjà produire une posture isolationn­iste, semblable à celle qui fit la réussite de Lux et Ivy au sein des Cramps. “On ne sort jamais de chez nous. On irait dans un club pour rien au monde. On préfère rester à la maison à regarder la télé ou à faire de la musique. C’est d’ailleurs à force de voir Donald Trump à la télé qu’on a écrit System of a Gun.”

La voilà, la grande chance du rock de la fin des années 2010 : Donald Trump ! Gutxi nous annonce qu’il a déjà de quoi remplir deux albums, que se chargera de ventiler à sa guise Oskar, son label français. Assez pour faire péter la Maison Blanche et le Pentagone.

“Sauf, ajoute-t-il, qu’à notre grand désarroi, on est plutôt des hippies, pas des révolution­naires. Et puis on est complèteme­nt véganes, on ne porte même pas de cuir. A part un vieux blouson vintage que j’ai acheté il y a longtemps, je ne mets jamais de peau morte sur moi. Comme Paul McCartney !”

concert le 23 mars aux Inrocks Les Bains – Super Pool Party #3, avec 10LEC6 (dernière signature Ed Banger), London O’Connor et le DJ set Inrocks Steady Crew, à Paris (Les Bains)

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Avec sa petite amie et bassiste, Tabatha Beu

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