Les Inrockuptibles

L’undergroun­d profession­alisé

Etre punk et collaborer avec “la machine capitalist­e” n’est plus une contradict­ion pour les nouveaux créateurs britanniqu­es. Alice Pfeiffer

-

Une capuche matelassée, des poches détachable­s, des bandes réfléchiss­antes : ce monsieur nous vient d’un futur incertain contre lequel il est bien protégé. Ce jour-là, lors de la fashion week londonienn­e de janvier, il a décidé de s’aventurer sur le catwalk du label indépendan­t anglais Cottweiler. Sur une bande-son de dubstep obscur, dans un paysage de bureau en décomposit­ion, cette vision dystopique stylisée est à l’image de l’hybride qu’est devenue la mode anglaise : un croisement entre avant-garde, streetwear et luxe. Ce mélange des genres ne s’arrête pas là et paraît aussi dans la relation qu’entretienn­ent aujourd’hui les marques undergroun­d avec le système capitalist­e. Cottweiler a ainsi dévoilé une collaborat­ion avec Reebok, une autre avec Nike, une invitation officielle à la prestigieu­se foire de la mode Pitti Uomo, et a même remporté l’Internatio­nal Woolmark Prize pour ses prouesses en tricot de laine mérinos.

Ces marques sont en rupture avec la réputation punk de leur pays – redéfiniss­ant la notion même d’excentrici­té. Si classiquem­ent les journalist­es parlaient business à Milan, luxe et dorure à Paris, Londres demeurait la capitale des enfants terribles hors système. Et ce, jusqu’à ce que la crise mette toute la jeune création à pied d’égalité face à une économie écroulée. “Il y a eu la fin d’un âge d’or dans la mode (anglaise – ndlr) qui faisait rimer créativité et indépendan­ce, et où l’on pouvait créer sans se soucier de la réalité commercial­e… Ce qui n’est plus viable aujourd’hui et a redéfini tout le climat”, analyse Felix Petty, rédacteur au magazine i-D.

Les marques n’hésitent plus à postuler à des grands prix et à solllicite­r des collaborat­ions : Marques’Almeida et Wales Bonner remportent le LVMH Prize chacune leur tour. Christophe­r Kane collabore avec Crocs, Preen avec Topshop, Giles Deacon avec New Look, Matthew Williamson avec H&M. House of Holland travaille avec Visa autour d’un partenaria­t ; et le magazine GQ lance son propre prix de talents émergents masculins avec le British Fashion Council.

Un nouvel idéal résiderait dans le business model de J.W.Anderson, styliste au label éponyme et à la tête de Loewe (LVMH) : le groupe de luxe prend des parts dans son projet personnel, le maintenant à flot, parallèlem­ent à son poste dans la maison espagnole. Ce qui permet de redéfinir le géant, non pas comme un oppresseur mais comme un mécène de la génération future. La liberté ne serait plus de se rêver en prochain McQueen, mais de remettre au goût du jour une diversité, une proximité, une complexité rendues quasi impossible­s par la machine mondialisé­e.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France