Les Inrockuptibles

un pacte avec le démon

Devenu un auteur à succès grâce à son obsession pour les monstres et le fantastiqu­e, Mike Mignola préfère se réinventer plutôt que d’exploiter jusqu’à l’usure son héros Hellboy. Retour sur un quart de siècle passé avec ce garçon de l’enfer charismati­que e

- par Vincent Brunner

Au milieu des cosplayers, des jeunes fans de comics, de mangas ou de jeux vidéo, cet érudit, fan de mythologie­s et de folklores, pourrait dénoter. Au contraire, star américaine du Monaco Anime Game Internatio­nal Conference­s (Magic) organisé dans la principaut­é mi-février, Mike Mignola est dans son élément. Devenu une référence, le père d’Hellboy se confie : après avoir prêté les clés de son univers à ses collaborat­eurs, il s’apprête à ouvrir un nouveau chapitre.

Dracula “Très jeune, j’ai été attiré par les héros de l’ère victorienn­e, une période qui ne ressemblai­t pas du tout à celle dans laquelle je vivais. Dans mes premiers souvenirs de lecture, il y a toujours eu des monstres et des fantômes. Quand j’ai lu Dracula, je me rappelle m’être dit : ‘Voici le monde dans lequel je veux passer mon temps.’ Ce livre a fermé toutes les portes et n’en a laissé qu’une seule ouverte.” l’anti-Batman “Quand j’ai annoncé à ma femme que j’allais créer ma propre série, elle pensait sans doute que j’avais imaginé un superhéros à la Batman. Elle a compris qu’il s’appelait Hellboy et qu’il avait une queue. J’ai alors lu dans son regard : ‘On n’a pas fini de vivre dans un petit appartemen­t !‘ Ma capacité d’attention étant limitée, je savais que si je ne m’amusais pas, je perdrais vite mon intérêt. Selon moi, personne n’allait lire la série et je devrais rapidement me remettre à dessiner Batman ou autre chose pour gagner ma vie. Mais je pourrais me souvenir qu’au moins une fois dans ma carrière j’avais créé une série me ressemblan­t.”

nazis “J’ai fait apparaître Hellboy en 1944, pour que je puisse avoir des nazis dans mes histoires. Ce sont les méchants classiques des comic books. Mes personnage­s préférés de chez Marvel, ceux avec qui j’ai grandi et appris à lire, se les coltinaien­t déjà. Bon, je ne crois pas avoir abusé des nazis dans mes séries mais, vu la situation actuelle, en Amérique particuliè­rement, je ne les utiliserai plus. Je préfère les fantômes ou Frankenste­in !”

liberté de l’étrange “Pendant les vingttrois dernières années, j’ai été gâté, j’ai littéralem­ent fait tout ce que je voulais, j’ai intégré dans Hellboy tout ce que j’aime. A partir du moment où la série a fonctionné, j’ai imaginé un tas d’histoires différente­s : Edward Grey, un détective de l’ère victorienn­e ; Lobster Johnson, un justicier digne des pulps des années 1930… J’ai pu raconter une histoire où Hellboy se bat avec un personnage qui s’exprime seulement en vers ! Vraiment, ça a été un jeu très excitant. J’ai beaucoup de chance que les fans, malgré l’étrangeté de mon univers, me suivent. Même quand j’ai tué mon personnage fétiche et que je l’ai envoyé en enfer, ils ont été au rendez-vous.”

une lassitude partagée “Quand j’ai commencé Hellboy en enfer, c’était pour ne pas me soucier de la réalité, pour qu’il évolue dans un monde totalement imaginaire, existant juste dans ma tête. J’ai transformé ma scène préférée des Contes de Noël de Dickens en spectacle de marionnett­es, comme pour avertir : ceci est ma cour de récréation. Assez vite, la série est devenue calme et silencieus­e. Hellboy a toujours reflété une partie de ma personnali­té : je crois que, comme lui, j’étais fatigué, lassé. A la fin du huitième épisode, quand il fume une cigarette, assis sous un arbre, mon cerveau m’a signifié : ‘Je crois que c’est fini, on a raconté tout ce que l’on devait raconter.’ J’ai continué encore un peu, juste pour vraiment boucler l’histoire.”

Hellboy au chaud “La fin d’Hellboy en enfer est très étrange et personnell­e. J’avais besoin de mettre le personnage en sécurité. La pièce dans laquelle il atterrit est ma propre salle à manger ; il est entouré d’objets iconiques provenant des histoires que je préfère. Si quelqu’un veut le récupérer, je sais où il est ! Peut-être que ça me fera passer pour un fou, mais c’est comme ça.

Certains fans s’attendaien­t sans doute à une énorme bataille finale, mais ce personnage représente une partie de ma vie tellement importante que je ne pouvais pas finir autrement.”

Guillermo del Toro “Je ne suis pas fan de la manière avec laquelle il a relancé l’idée d’un troisième film sur Hellboy (le réalisateu­r a effectué un sondage auprès des fans sur Twitter – ndlr), c’était juste un coup de pub. ‘Hé, Guillermo, tu as mon numéro. Si tu veux vraiment qu’on en parle, appelle-moi.’ Je l’aime beaucoup, on a vécu de belles choses ensemble, mais on ne fera pas de troisième Hellboy.”

la s uite ? “J’ai conclu l’histoire d’Hellboy mais il existe dans sa chronologi­e des trous gigantesqu­es à exploiter. Le scénariste, Chris Roberson, va s’occuper du gros du travail, tandis que je pars jouer ailleurs. Un moment, je me suis forcé à peindre un tableau par jour. Mais faire des comics me manquait. Il est temps pour moi de me lancer dans des expériment­ations visuelles. La BD que je prépare – elle n’a pas encore de nom – sera très bizarre, je ne sais pas vraiment ce que c’est. Mais, alors que je suis censé prendre ma retraite, je vais dessiner dans mon studio sept jours sur sept. Je m’amuse comme ça ne m’est pas arrivé depuis des années !”

 ??  ?? Planche extraite de Hellboy & B.P.R.D
1953, où Mike Mignola s’est amusé à imaginer les premières enquêtes de son héros écarlate
Planche extraite de Hellboy & B.P.R.D 1953, où Mike Mignola s’est amusé à imaginer les premières enquêtes de son héros écarlate

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