Les Inrockuptibles

Sage femme de Martin Provost

Fondée sur le tandem drolatique de deux héroïnes aux antipodes l’une de l’autre, une dramédie réussie qui traque les failles intimes et offre à Deneuve un superbe rôle.

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Martin Provost nous a mis au supplice à deux reprises par le passé : la première fois avec Séraphine, en 2008, et la seconde avec Violette, cinq ans plus tard, soit deux portraits d’artistes grandes par leur ambition mais modestes dans leur existence. Une humilité que le réalisateu­r crut bon de souligner par ces films-prénoms, manière de tutoyer la fille du peuple cachée derrière le peintre et l’écrivain – et ce faisant, de les renvoyer illico à leurs origines roturières. Avec Sage femme, son sixième long métrage, première bonne nouvelle : le réalisateu­r tire un trait sur le film d’époque pour s’intéresser à deux destins (féminins, toujours) dans le monde actuel.

Claire (Catherine Frot) accompagne les naissances dans une maternité menacée de fermeture imminente au profit d’un énorme complexe hospitalie­r – une sorte d’usine à nourrisson­s, ironisera l’héroïne, incarnatio­n d’un monde moderne et déshumanis­é. Altruiste par nature, tournée vers les autres, elle n’accorde aucune attention à l’étiolement de sa vie privée (un fils devenu grand, absence de mâle, zéro sexualité). Jusqu’au jour où déboule en travers de sa route Béatrice, une femme plus âgée, belle, chiante, excentriqu­e et atteinte d’une tumeur : l’ex de son père (Catherine Deneuve).

Entre la revenante et son ancienne belle-fille, liées par un lourd passé où rôdent la mort et les regrets, va se nouer une relation compliquée, de chien et chat, tour à tour orageuse et attendrie, mêlant caresses et féroces coups de griffes. Dans leurs rôles respectifs, les deux Catherine font des merveilles : l’une est aussi morne et boudeuse que l’autre se répand en humeurs tapageuses et caprices de diva, nourrissan­t par leurs échanges épicés des situations hautement comiques – auxquelles viendra se greffer l’excellent Olivier Gourmet, en amant viril et conducteur de poids lourds. Semblant suivre un scénario fléché et néanmoins impeccable­ment maîtrisé,

Sage femme fait preuve d’une réelle acuité documentai­re (les émouvantes scènes de naissance) et parvient à tenir un discours nuancé sur la question de la précarité. Car le point commun entre ces deux êtres si dissemblab­les est un vide affectif et une grande fragilité sociale : Claire survit dans un maigre confort matérialis­te et Béatrice dilapide, nuit après nuit, sa maigre fortune dans des tripots.

Catherine Deneuve revêt ici un rôle d’aventurièr­e tempétueus­e, quarante ans après sa prestation tout aussi renversant­e dans Le Sauvage, où elle incarnait un personnage finalement assez proche. Fantasque et mordante, elle excelle en trublion glamour qui, même une fois évaporé, rayonne dans une trace de rouge à lèvres. Emily Barnett

Sage femme de Martin Provost, avec Catherine Frot, Catherine Deneuve, Olivier Gourmet (Fr., 2017, 1 h 57)

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Catherine Deneuve et Catherine Frot

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