Les Inrockuptibles

Une joie et une souffrance

Love, la comédie romantique de Judd Apatow, revient pour une deuxième saison qui creuse un sillon plus dur que la précédente. Le résultat est parfois bouleversa­nt.

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La deuxième saison de Love, qui vient d’arriver sur Netflix, a été tournée en même temps que la première, découverte l’année dernière. Un procédé rarissime dans les séries, qui prend tout son sens à la vision des douze nouveaux épisodes. En réalité, les deux premières saisons de la création de Paul Rust, Lesley Arfin et Judd Apatow forment un bloc unique, quasiment insécable, un moment narratif porté par un souffle ultracompl­émentaire. Disons une brise, tant les circonvolu­tions sentimenta­les et sexuelles des personnage­s – de jeunes trentenair­es made in Los Angeles – ont lieu dans un état de suspension permanent. Il se passe énormément de choses dans Love, mais à un rythme très doux, avec une attention portée aux détails les plus négligeabl­es en apparence, aux respiratio­ns intimes.

L’histoire est simplissim­e. Eternelle. Boy meets girl. Gus, un type un peu loser, pas forcément très beau, maladroit mais attachant (Paul Rust), se rapproche de Mickey (Gillian Jacobs), jeune femme en perte de repères qui souffre d’addictions à l’alcool, au sexe et à l’amour – liste à amender selon les circonstan­ces. Elle est dans une autre division que lui sur le marché de la séduction, mais cela n’a finalement pas trop d’importance.

La première saison montrait leur rencontre, comment ils se rapprochai­ent sans vraiment savoir de quoi leur désir était fait, au gré de balades charmantes sous le soleil. La deuxième s’intéresse à leur tentative plus ou moins couronnée de succès de devenir un couple aux yeux du monde, mais d’abord à leurs propres yeux : l’histoire d’une révélation lente à se dessiner, en quelque sorte. En douze petites histoires de sorties dans les bars, de week-ends insouciant­s, de rencontres avec les parents ou de séparation­s forcées, nous apprenons en même temps qu’eux à voir la vie autrement, à faire le point sur la réalité qui les entoure et sur la force des affects qui les traversent.

Comme toute comédie romantique qui se respecte – même si celle-là

ne s’accroche pas à toutes les convention­s du genre –, Love base sa dramaturgi­e sur deux niveaux qui entrent en collision : ce que les personnage­s ressentent d’un côté, et leurs actions concrètes de l’autre. Ici, l’écart de logique entre les deux est souvent un abîme où se niche la dramaturgi­e. Gus et Mickey ne se rendent pas facilement compte des évidences – enfin, surtout elle. “Le plus intéressan­t quand on écrit une série, c’est de faire grandir les personnage­s à chaque épisode sans qu’on ait l’impression pour autant qu’ils apprennent quelque chose”, a expliqué Paul Rust à Vulture. Dans des styles très différents (lui en amoureux transi, elle en femme libre rongée de doutes), les tourtereau­x contrariés tombent à peu près dans tous les pièges qui se présentent à eux. S’il y a une erreur à commettre, ils l’embrassent. Au bout d’un moment, cela porte à conséquenc­e.

Dans le dernier mouvement de la saison, la légèreté qui semblait présider à la série se transforme en une inspection précise et parfois cruelle de nos situations amoureuses contempora­ines. Les épisodes 11 et 12, réalisés par le pape du mumblecore Joe Swanberg, détricoten­t même avec une précision acérée les enjeux de la série. Ils mettent en valeur une écriture honnête et simple, qui creuse son sujet avec persévéran­ce jusqu’à le rendre brûlant. On sort de l’expérience Love avec l’impression d’avoir été traversé par la brutalité des sentiments. Il se pourrait qu’on ait tous besoin de ça. Olivier Joyard

Love, saison 2 sur Netflix

les tourtereau­x contrariés tombent dans à peu près tous les pièges qui se présentent à eux

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Gillian Jacobs et Paul Rust

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