Les Inrockuptibles

Un putain de conte

Avec Fairy Tale, son premier roman, Hélène Zimmer décrit l’ordinaire d’une famille française plus que moyenne, écartelée entre dèche et “bonheur” capitalist­e. En colère.

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Fairy tale veut dire conte de fées. Du coup, on imagine : il était une fois une ravissante Coralie qui vivait avec Loïc, son charmant fiancé, et leurs trois jeunes enfants adorables, prénommés Titi, Popo et Lulu. Titi ? Sûr d’avoir bien lu ? Titi comme dans Titi et Grosminet ?

En quelque sorte, car à la dixième ligne du roman d’Hélène Zimmer, Coralie a à peine ouvert la bouche que déjà le fairy tale casse la baraque d’un supposé pays des merveilles : “Putain de sa race”, beugle Coralie qui vient de se brûler en sortant du four un boeuf bourguigno­n. Fin du conte de fées et début d’un cauchemar domestique où une jeune femme se démène entre un compagnon au chômage, trois gamins chiants, un boulot de vendeuse de merde dans un quelconque Gifi, et le tourment des finances.

Pour sauver ce qui lui reste de meubles, Coralie a un projet qui passe par le pire : inscrire Loïc à Fairy Tale, une télé-réalité sur les chômeurs. En attendant ce miracle, la vie va : barbecue chez les voisins “sympas”, sadisme d’un petit chef, vacances en mobile home, clopes et cubi de rosé, nouilles au ketchup et écran de télé king size devant lequel on se vautre pour découvrir la différence cruciale “entre le toilettage traditionn­el pour chats et le toilettage pour chats persans”. C’est quoi ce bastringue ? C’est la France plus que moyenne, celle des fracassés de la prospérité qui encaissent en première ligne les violences du capitalism­e. Ceux qu’on a convaincus qu’il y a de quoi hésiter entre la promo sur les fraises Tagada et le menu découverte du McDo, ceux qui ont oublié qu’ils pourraient se révolter, ceux qui au bout du tunnel de l’épouvante sociale, auraient bien des raisons désespéran­tes de voter FN.

A lire Hélène Zimmer (par ailleurs actrice, réalisatri­ce et scénariste), on a souvent l’impression de lire un film, comme une petite soeur des frères Dardenne pour son talent à décrire le chaos social et l’espoir d’un vivre-ensemble malgré tout. Hélène Zimmer est une surdouée des dialogues où la langue est chargée de mots crus pour se venger de la bien-disance ambiante et des injonction­s publicitai­res. Coralie pourrait dire : cette enculée d’Hello Kitty ! Elle préfère dire à Loïc : “Je m’appelle Coralie au fait. Je suis la mère de tes gosses. Tu sais, la chatte que tu remplis quand t’es au calme chez toi.” Cette déclaratio­n de guerre est aussi une déclaratio­n d’amour. Gérard Lefort

Fairy Tale (P.O.L), 286 pages, 17 €

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