Les Inrockuptibles

Dans la jungle des fantasmes

Dirigées avec brio par Stéphane Braunschwe­ig, Luce Mouchel et Marie Rémond se livrent à un bras de fer dément pour témoigner de la folie à l‘oeuvre dans Soudain l’été dernier de Tennessee Williams. Pour sa mère, Sébastien dédiait son existence à la poési

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Campant le décor de Soudain l’été dernier, dans sa première didascalie, Tennessee Williams évoque le jardin exotique d’une demeure cossue de La NouvelleOr­léans, à la manière d’un espace métaphoriq­ue nous ramenant aux premières heures de l’aventure de la vie sur terre : “A l’époque préhistori­que des forêts de fougères géantes, où les êtres vivants avaient des nageoires qui se transforma­ient en pattes, et des écailles qui se transforma­ient en peau.” Ce rappel amusé de l’héritage d’un cerveau reptilien est une façon pour l’auteur de relativise­r la résolution d’une intrigue à suspense reposant exclusivem­ent sur ces admirables bijoux forgés par l’évolution que sont les souvenirs de ses protagonis­tes.

La jungle de la scénograph­ie de Stéphane Braunschwe­ig est idéale. Apparaissa­nt d’abord derrière le voile trouble d’un rideau de plastique translucid­e, cette concentrat­ion de lianes, de branches mortes, de feuilles géantes et de fleurs turgescent­es réunies autour d’un énorme tronc phallique, a tout du pur fantasme. Nul ne s’étonne qu’il soit bientôt contenu entre des murs blancs capitonnés propres aux cellules d’isolement des institutio­ns pour aliénés.

Ici, on navigue à vue dans le délire, depuis que le fils de la maison est mort, l’été précédent, dans des conditions qui défient la raison. Seul témoin de son assassinat, sa cousine, Catherine (Marie Rémond), rapporte une vérité si obscène que la mère du poète (Luce Mouchel) a choisi de la faire interner pour protéger la réputation de son fils adoré. Sortie de sa réclusion et menacée d’être lobotomisé­e, Catherine est soumise par un médecin (Jean-Baptiste Anoumon) à l’épreuve ultime du sérum de vérité. pour Catherine, c’était un prédateur pédophile, un manipulate­ur qui les incitait à rabattre de la chair fraîche. Le côté extraordin­aire de la pièce repose sur le talent des actrices à rendre crédibles ces récits contradict­oires. Luce Mouchel et Marie Rémond sont si puissantes dans leur plaidoyer, que l’on peine à se décider pour savoir qui défend la vérité, qui s’arrange d’un mensonge. Débordé par l’irrésolu de tant de visions démentes, on ne peut s’empêcher de s’identifier à ces petites tortues évoquées dans la pièce. Venant d’éclore sur la plage et devant regagner la mer, elles doivent échapper aux oiseaux qui les attaquent en piqué pour les dévorer vivantes. Mise en lumière par Stéphane Braunschwe­ig,

la folie qui infuse chez Tennessee Williams semble alors terribleme­nt contagieus­e. Patrick Sourd

Soudain l’été dernier de Tennessee Williams, mise en scène et scénograph­ie Stéphane Braunschwe­ig, avec Jean-Baptiste Anoumon, Océane Cairaty, Virginie Colemyn, Boutaïna El Fekkak, Glenn Marausse, Luce Mouchel, Marie Rémond, jusqu’au 14 avril à l’Odéon – Théâtre de l’Europe, Paris VIe

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Marie Rémond et Glenn Marausse

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