Les Inrockuptibles

La guerre pour horizon

Au Mucem, à Marseille, la photograph­e Anne-Marie Filaire expose ses paysages marqués par les stigmates des conflits armés. Telle une archéologu­e fouillant les strates sédimentée­s du temps,

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Comme l’indique le titre de son exposition au Mucem, Zone de sécurité temporaire, la photograph­e Anne-Marie Filaire aime filer vers des espaces fermés à la possibilit­é d’une paix durable. Temporaire, la sécurité qui transpire dans ses paysages abîmés n’est surtout qu’un artefact politique cachant la permanence d’une menace. Sourde, cette menace résonne et vibre dans ses magistrale­s photos exposées par la commissair­e Fannie Escoulen.

Depuis 1999, au fil de ses voyages répétés au ProcheOrie­nt, en Israël ou en Afrique de l’Est, Anne-Marie Filaire a réalisé des images habitées par l’inquiétude plus que par les hommes, souvent absents du cadre. Cette inquiétude procède autant de la solitude de la photograph­e que de la réalité factuelle de guerres interminab­les, de préoccupat­ions intimes que de fracas géopolitiq­ues. Cet entrelacem­ent de deux modes de lecture possibles éclaire le point d’intersecti­on où se situe son travail, entre geste poétique et souci documentai­re, entre quête personnell­e d’un ailleurs et observatio­n des fractures de l’histoire.

Préoccupée depuis plus de vingt ans par la question du paysage, inaugurée avec des séries réalisées sur sa terre auvergnate pour le compte de l’Observatoi­re photograph­ique du paysage, l’artiste déploie un geste constant : prélever les traces du temps sur la matérialit­é d’un territoire, occupé ou non. Du Yémen à l’Erythrée, de Beyrouth au Sud-Liban, de Jérusalem à Gaza, ses images récentes dévoilent la violence de territoire­s arides et ridés tout en suggérant la résistance des paysages à leur propre perdition. Symbolisé par la constructi­on de murs, de clôtures, mais aussi par le vide de paysages désertique­s, sans horizon défini, l’enfermemen­t forme le fil rouge de l’exposition, où chaque image dialogue avec une autre. la photograph­e s’écarte du souci de faire face à l’événement d’actualité pour ne suggérer que le fruit de son regard patient, à la fois plastique et empathique, confronté aux souffrance­s invisibles. Aucun signe visible du chaos – des morts, des combats, des larmes – ne surgit dans ses images

discrètes, pour laisser place aux murmures qui le précèdent ou lui succèdent : un vide figé dans un calme apparent, celui d’une rue, d’une frontière, d’un mur, d’une porte, d’un toit, d’un ciel foudroyé. Comme le souligne l’écrivain Jean-Christophe Bailly dans la très belle monographi­e publiée à l’occasion, “le temps, qui est le véhicule de l’oubli, est aussi celui de la trace, et l’immobilité, loin d’être une parure trompeuse, devient, pour qui sait la contempler et lui donner le temps de se déployer, la réserve silencieus­e où tous les signes sont inscrits”.

A rebours d’une photograph­ie spectacula­ire préoccupée par l’imposition de ses effets, Anne-Marie Filaire se faufile dans une zone plus inconforta­ble et secrète pour révéler des spectres, à défaut des êtres qui lui manquent et la hantent. Jean-Marie Durand

Zone de sécurité temporaire jusqu’au 29 mai au Mucem, Marseille à lire la monographi­e (coédition Textuel/Mucem), 224 p., 55 €

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Gaza, Palestine – juillet 1999
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Dahiyeh, Beyrouth, Liban – sept. 2006

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