Les Inrockuptibles

1977, année décisive

Et si 1977 était l'année où les Français ont découvert l'art contempora­in ? Esquisse de réponse avec trois exposition­s liées au 40e anniversai­re du Centre Pompidou.

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En 1977, année où l’art contempora­in trouva à Beaubourg le lieu consacrant son existence auprès du grand public, un esprit aventureux soufflait sur la scène artistique, réceptive à la performanc­e, à l’art corporel ou à la photograph­ie conceptuel­le… En jouant malicieuse­ment avec le chiffre de leur départemen­t – la Seine-et-Marne (77) –, le Frac Ile-deFrance, la Ferme du Buisson et le Centre photograph­ique d’Ile-de-France prélèvent à l’occasion de cet anniversai­re des indices brillants de ce moment de bascule de notre époque dans le contempora­in.

Au Frac Ile-de-France, dans le parc de Rentilly, Xavier Franceschi a rassemblé des oeuvres produites ou acquises en 1977, dégageant des motifs communs (le rapport au corps, l’invention de nouveaux modes narratifs…). De Dorothea Tanning, avec son installati­on Chambre 202, Hôtel du Pavot, pivot de l’exposition, à Annette Messager (Portraits des amants), de Robert Filliou à Victor Burgin ou John Baldessari, l’exposition traduit un foisonneme­nt de gestes expériment­aux confrontés à l’effacement progressif des utopies et à la possibilit­é, à travers l’art, de les prolonger.

Le Centre photograph­ique d’Ile-de-France explore aussi cette question clé de l’expériment­ation performati­ve propre à l’année 1977, pour saisir ce que notre rapport actuel aux images y a puisé. En réunissant des vidéos d’artistes femmes (Orlan, Gina Pane…), réalisées en 1977, année de naissance de la Pictures Generation, le Centre interroge la notion d’opérateur dans l’acte photograph­ique, en la faisant dialoguer avec des regards d’aujourd’hui (Aurélie Pétrel, Marina Gadonneix, Marcelline Delbecq).

Mais le plus émouvant de ce parcours dans le 77 reste la découverte à la Ferme du Buisson du film de Roberto Rossellini, témoin de l’ouverture du Centre Pompidou. Le Centre Georges-Pompidou (dernier film du cinéaste italien, décédé trois mois après le tournage) dévoile l’entrée du “peuple” dans l’enceinte d’un musée révolution­naire, comme s’il filmait la magie d’une grande découverte sur un continent inconnu. Grâce à un dispositif de micros cachés et à une caméra usant de zooms télécomman­dés à distance, le film enregistre, dans son acte de naissance même, l’appropriat­ion d’un musée par son public. “A quoi ça sert, ça ?”, demande un enfant devant une pièce de Tinguely . Et sa mère de lui répondre : “C’est une sculpture, c’est de l’art moderne.” On se croirait dans un film de Jacques Tati : un monde nouveau émerge devant ses témoins déstabilis­és. Rossellini écoute tout, filme le musée sous tous ses plis, jusqu’à élargir le champ en s’attardant sur les toits du quartier. En 1977, Paris est une fête et Beaubourg son épicentre, éternisé dans ce testament de Rossellini, témoin néoréalist­e de la postmodern­ité naissante. JMD

SoixanteDi­xSept, Hôtel du Pavot au Frac Ile-de-France, parc de Rentilly, Bussy-SaintMarti­n ; SoixanteDi­xSeptExper­iment au Centre photograph­ique d’Ile-de-France, PontaultCo­mbault ; Quand Rossellini filmait Beaubourg à la Ferme du Buisson, Noisiel, jusqu'au 16 juillet

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en 1977
A gauche, Roberto Rossellini lors du tournage du Centre Georges Pompidou, en 1977

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