Les Inrockuptibles

Quand de Gaulle régnait

Le second documentai­re de Patrick Rotman sur Charles de Gaulle s’attache à ses onze ans, de 1958 à 1969, à la tête de l’Etat. Un portrait entre intime et histoire.

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Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans je commence une carrière de dictateur ?”, s’emballe Charles de Gaulle, devant un parterre de journalist­es, avant son retour au pouvoir en 1958. C’est par cette conférence de presse mémorable, au palais d’Orsay, que débute le nouveau documentai­re de Patrick Rotman, le second après De Gaulle 1940-1944, l’homme du destin (2015) qui racontait l’odyssée du général lors de la Seconde Guerre mondiale. “De Gaulle est un monument long à escalader”, sourit Rotman, quand on l’interroge sur son objet d’étude.

Son nouveau film s’intéresse aux onze années du général au sommet de l’Etat. Dans cette décennie de tous les bouleverse­ments, les années 1960, de Gaulle fait face à son destin. Premier président de la République élu au suffrage universel direct, il fut également le“dernier roi de France”, suggère le documentai­re. Le 13 mai 1958, la IVe République française agonise et le gouverneme­nt est paralysé par la peur de représaill­es. De Gaulle se pose alors comme un recours face à la menace d’une guerre civile en Algérie.

Investi président du Conseil, son premier geste sera pour ces trois “départemen­ts français”. Accueilli tel un empereur romain, lors de sa visite du 4 juin à Alger, il lance à la foule son emblématiq­ue “Je vous ai compris”. Le 8 octobre, la Constituti­on de la Ve République est approuvée par référendum, avec plus de 80 % des bulletins. Des “oui” davantage destinés au personnage étatique qu’au contenu législatif. Le 21 décembre 1958, de Gaulle est élu président de la République. Il arrive au pouvoir, à 68 ans, hanté par son âge et le temps

qui s’écoule. “C’est dix ans trop tard, j’ai dix ans de trop”, ne cesse t-il de répéter. Une dictature du temps qui pèsera dans ses décisions et enterrera rapidement l’Algérie française, déclarée indépendan­te le 5 juillet 1962. “Jamais l’Algérie n’a été française. Elle l’était dans la tête de colonels braillards, elle l’était dans les slogans, elle ne l’était pas dans les faits. C’était une colonie”, s’exclame t-il. Avec l’aide de Pompidou à Matignon, il établit

le suffrage universel direct. Néanmoins, s’il est réélu pour un second mandat avec 55 % des voix, plus rien ne sera comme avant. Si une grande réforme comme la légalisati­on de la pilule aboutit (1967), Mai-68 se profile et sonne le glas du général : celui-ci démissionn­e après l’échec du référendum, en 1969, portant sur le transfert de certains pouvoirs aux régions et la fusion du Sénat avec le Conseil économique et social. Passionnan­t et riche, le documentai­re a le mérite de révéler des images inédites puisées sur tous les continents, montrant la dimension planétaire et les multiples voyages internatio­naux (Russie, Amérique latine…) du général de Gaulle, accueilli telle une rock-star.

Le film de Rotman rend aussi compte de son côté visionnair­e, que cela soit sur la réunificat­ion allemande (“Bien sûr, l’intérêt égoïste de la France serait que [l’Allemagne] soit divisée le plus longtemps possible, mais ça ne restera pas éternel”) ou bien encore sur la Chine (“Les moyens de la Chine sont virtuellem­ent immenses et il n’est pas exclu qu’elle soit, au siècle prochain, ce qu’elle fut durant tant de siècles : la plus grande puissance de l’univers”). La force du travail de Rotman est d’avoir réussi à confronter les pensées intérieure­s du général – consignées dans ses mémoires – à son action publique. Un portrait intime d’un homme dont la portée historique pèse encore aujourd’hui. Manon Michel

De Gaulle, le dernier roi de France lundi 27, 20 h 55, France 3

le 21 décembre 1958, à 68 ans, de Gaulle est élu président de la République, hanté par son âge et le temps qui s’écoule

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