Les Inrockuptibles

Mélenchon, l’heure de la retraite ?

Arrivé quatrième au terme d’une campagne aussi innovante qu’éprouvante, le leader de La France insoumise, âgé de 65 ans, paraît affaibli par cette nouvelle bataille perdue.

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Depuis le 10 février 2016, date à laquelle il a annoncé sur TF1 sa candidatur­e à l’Elysée, Jean-Luc Mélenchon a parcouru un chemin vertigineu­x. De meetings à répétition en débats télévisés interminab­les, l’eurodéputé a fait naître, sur les cendres du Front de gauche, une force nouvelle dans le paysage politique français. Quelque 450 000 personnes ont appuyé sa candidatur­e sur le site jlm2017.fr, et plus de sept millions d’électeurs lui ont apporté leurs suffrages. C’est trois millions de plus qu’en 2012, mais c’est encore insuffisan­t pour le hisser à la dernière marche du podium : le candidat de La France insoumise, arrivé en quatrième position avec 19,6 % des voix, ne sera pas le “dernier président de la Ve République”, comme il le promettait. Alors qu’une nouvelle période s’ouvre, l’avenir de cette insoumissi­on organisée est incertain.

A 65 ans, le moine-soldat de la gauche est usé. Depuis qu’il a quitté le PS, en 2008, il a enchaîné les revers électoraux personnels et collectifs. Après celui (cuisant) des législativ­es à Hénin-Beaumont où il avait affronté Marine Le Pen en 2012, il y eut celui des européenne­s de 2014 remportées par le FN. Lui qui était entré dans une profonde dépression, après le 21 avril 2002, avait paru au bout du rouleau, les larmes aux yeux à sa conférence de presse. On se souvient de son appel endeuillé : “Allez les travailleu­rs, ressaisiss­ezvous ! Ne laissez pas que tout ça soit fait en votre nom.” La douleur du militant contrarié, si près du but en 2017, aura-t-elle raison de lui ? Difficile de l’imaginer candidat à la présidenti­elle de 2022 – il aura 70 ans. Pourtant, le 20 avril, sur RMC, l’intéressé ne baissait pas la garde : “Mon dernier combat ? Sûrement pas. Je combattrai jusqu’à mon dernier souffle. Ma dernière élection ? Je ne sais pas vous dire.”

Les partisans de Jean-Luc Mélenchon considèren­t, presque dix ans après son départ de Solférino, que “l’histoire lui donne raison” et qu’il aura encore un rôle à jouer sous le prochain quinquenna­t, quel qu’il soit. “Il lègue un programme et une vision dont d’autres que lui peuvent se saisir. Bernie Sanders est plus vieux que lui et cela ne l’empêche pas d’avoir toujours un rôle important aux Etats-Unis”, sourit son porte-parole et conseiller sur les questions internatio­nales et de défense, Djordje Kuzmanovic.

Jean-Luc Mélenchon est d’autant moins disposé à se mettre en retrait que son pari principal est réussi : La France insoumise est passée devant le PS. “Désormais, nous sommes la gauche !”, proclame ainsi François Ruffin, candidat aux législativ­es dans la première circonscri­ption de la Somme, à la tête d’une coalition réunissant toute la gauche hors PS, qui espère faire du résultat de la présidenti­elle un tremplin pour cette nouvelle échéance électorale. Celle-ci sera décisive pour l’avenir du “phi”, symbole de la France insoumise.

Ce n’est pas un hasard si, ce 23 avril, dans un discours lapidaire, le candidat déchu a appelé ses soutiens

“à rester groupés, à rester un mouvement”. “Il est certain qu’il y a une nécessité historique à avoir une relève. Il a créé un mouvement, un maillage territoria­l, un programme, du commun entre différents militants, comme en 2005. Il ne veut pas que cela s’effondre dans le contexte du prochain quinquenna­t. Jean-Luc était prêt à gouverner, il est aussi prêt à être un passeur. Mais dans tous les cas, il ne va pas se mettre à la retraite”, estime Christophe Ventura, un de ses proches, rédacteur en chef du site Mémoire des luttes.

En une phrase lancée à ses soutiens, le soir du premier tour, depuis une tribune improvisée dans le Xe arrondisse­ment de Paris, Jean-Luc Mélenchon a endossé ce rôle, comme s’il semblait vouloir prendre du recul : “Le voilà le matin neuf qui se lève ! A vous jeunes gens de reprendre la tâche et le flambeau à l’endroit où je vous l’aurai donné et tendu, d’une main à l’autre !

On est La France insoumise, maintenant et pour toujours !” Pour ne pas laisser ses 450 000 soutiens désoeuvrés après la période hyperactiv­e de la campagne, il les a déjà chargés de débattre sur une plate-forme pour décider s’ils choisissai­ent de soutenir collective­ment Emmanuel Macron ou non, au second tour. Pour la suite, Djordje Kuzmanovic veut croire en la dynamique militante de La France insoumise, notamment grâce aux outils numériques inspirés des campagnes de Bernie Sanders ou de Podemos. “Les gens vont s’auto-organiser, il n’y a pas de bureaucrat­ie interne, c’est ce qui fait notre force”, soutient-il. Pourtant, du Mélenphone au jeu Fiscal Kombat, force est de constater que la figure du tribun est omniprésen­te.

La solitude du coureur de fond qui est nécessaire­ment celle d’un candidat à la présidenti­elle a des effets qu’il est le seul à pouvoir déchiffrer. Le psychanaly­ste Gérard Miller, auteur du documentai­re hagiograph­ique JeanLuc Mélenchon, l’homme qui avançait à contre-courant, estime que l’heure de l’introspect­ion n’est pas encore venue pour celui qui voulait incarner “la force du peuple” : “Rien n’indique qu’il va entamer une psychanaly­se demain, il ne va pas faire le coup de Jospin en 2002. Mais il y a quelque chose dans La France insoumise qui dépasse Mélenchon. Sa campagne a été une pratique de réveil.”

Le soir du premier tour, Jean-Luc Mélenchon s’est inquiété, en petit comité, de l’éventualit­é d’une révolution violente si les revendicat­ions de La France insoumise n’avaient pas voix au chapitre dans les cinq ans à venir. Est-ce à dire qu’il sera candidat aux législativ­es lui-même pour porter le glaive contre le libéralism­e ? Ses soutiens ne le croient pas, même si des rumeurs lui ont prêté l’intention de se présenter en Seine-Saint-Denis, où il aurait des chances d’être élu. “Il a une campagne sur le dos, il veut respirer un peu, avance Christophe Ventura. Mais il va devoir galvaniser ce mouvement, donner de l’envie, de l’enthousias­me aux gens. Je ne peux pas imaginer que, dans une phase intermédia­ire, il n’ait pas un rôle.” En 2012, une fois le grand tourbillon des campagnes électorale­s passé, “Méluch” s’était ressourcé en Amérique du Sud. Il y avait rencontré la philosophe Chantal Mouffe qui a inspiré sa stratégie politique en 2017. Qui sait, peut-être reviendra-t-il de son prochain périple avec un nouveau plan pour seul viatique. Et peut-être qu’il fera enfin s’ouvrir “les larges avenues qu’empruntera l’homme libre pour construire une société meilleure”, comme disait Salvador Allende, une de ses références. Mathieu Dejean

en 2012, après les campagnes électorale­s, il s’était ressourcé en Amérique du Sud

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“A vous jeunes gens de reprendre la tâche et le flambeau à l’endroit où je vous l’aurai donné et tendu”

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