Les Inrockuptibles

La vergeture fière

Dénigrées depuis la nuit des temps, ces stries sont une nouvelle source de fierté chez les mannequins qui veulent mettre en avant le “corps naturel”.

- Alice Pfeiffer

Ci-dessus, voici un postérieur féminin dont les vergetures assumées ont fait couler beaucoup d’encre. Celui-ci apparaît dans le dernier clip du rappeur Kendrick Lamar, Humble. Tandis qu’à l’écran surgit ce corps hyperréel, il chante qu’il en a marre de Photoshop : “Montrez-moi quelque chose de naturel comme des vergetures.” Il met en scène le mannequin Carter Kim, qui n’hésite pas à poster des photos d’elle sur les réseaux sociaux dans des tenues sexy classiques (minijupe, Bikini), sans jamais camoufler sa peau striée. Au contraire, ces marques deviennent un ornement.

Cette tendance, qui vise à renverser le regard porté sur les vergetures et à les considérer comme un signe de singularit­é, voire de beauté, et non plus comme un défaut, grandit à vue d’oeil dans le milieu de la mode. Il y a quelques mois déjà, la marque de sous-vêtements Victoria’s Secret publiait des photos non retouchées d’un de leurs tops, Jasmine Tookes. Sur ses cuisses, des rainures apparentes et assumées contrastai­ent avec son corps filiforme.

Idem chez Robyn Lawley, premier mannequin grande taille invité à poser en maillot de bain dans le magazine classiquem­ent macho Sports Illustrate­d : sur Instagram, elle documente de près ce qu’elle appelle ses “rayures de tigre”, qu’elle voit comme une sorte de cicatrices de guerre : “Je les ai eues après ma grossesse, je tenais à vous les montrer tant qu’elles sont encore bien visibles, elles sont ’badass’ et je les ai méritées !”

Ces femmes réagissent à une régulation sexiste et jeuniste du corps : alors que tous les genres et corpulence­s peuvent développer de telles marques, celles-ci sont particuliè­rement stigmatisé­es chez la femme après une prise de poids ou une grossesse – et ce depuis la nuit des temps. En effet, les premières crèmes antiverget­ures remontent à l’Egypte ancienne, où elles sont prescrites aux femmes enceintes.

Hier comme aujourd’hui, ces stries rappellent un corps qui évolue au fil des expérience­s et du temps qui passe. Des milliers de personnes les acceptent grâce au hashtag# stretch marks are beau tiful,is su du mouvement féministe du Body Positive Movement, qui vise à poursuivre un idéal personnel plutôt que violemment normatif. En montrant ses rayures, on refuse également une idée de perfection synonyme de jeunesse et de corps vierge de toute maturité : ces vergetures tracent une cartograph­ie du temps qui passe, elles enregistre­nt et remémorent les passages à travers les époques de la vie. Ainsi, on s’accepte tel que l’on est : un être en métamorpho­se perpétuell­e.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France