Les Inrockuptibles

La Colère d’un homme patient de Raúl Arévalo

Sous les apparences d’un petit western lo-fi, l’histoire d’une vengeance absurde au grand souffle existentie­l.

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Un inconnu revient venger la mort d’un être aimé avec pour objectif de liquider ses bourreaux. Ce scénario, on en a vu des dizaines de déclinaiso­ns, mais qu’est-ce qui fait que le premier long métrage d’un jeune inconnu, tricoté avec presque rien, supporte la comparaiso­n avec quelques maîtres-étalons du genre ? Après avoir raflé quatre Goya (l’équivalent de nos César) en Espagne, voici Raoúl Arévalo lancé à la conquête du public français, déjà adoubé par un prix du jury et un prix de la critique au Festival internatio­nal du film policier de Beaune.

La Colère d’un homme patient raconte la traque acharnée d’anciens braqueurs par l’homme dont ils ont jadis défiguré et tué la petite amie. Le film commence alors que l’un d’entre eux (Luis Callejo, à l’affiche également de L’Homme aux mille visages d’Alberto Rodríguez) sort de prison. Pour l’approcher, notre Némésis barbu (Antonio de la Torre, acteur marmoréen) séduit sa fiancée et la garde en otage dans une maison de bord de mer. Débute alors un périple chahuté entre ce chasseur et son guide à travers l’Espagne.

Tourné en 16 mm, La Colère d’un homme patient frappe et séduit d’emblée par son économie de moyens, un dépouillem­ent rugueux et une image sale qui participen­t de l’âpreté du récit tout en assumant à fond son esthétique de série B. Arévalo traque la deep Espagne, ses plaines et son climat poisseux, ses férias, ses motels déserts et ses ranches, les posant en toile de fond d’un western justicier montré sous un jour vain et absurde par la mise en scène.

Le cinéaste de 37 ans met en cause la loi du talion à l’origine de ces représaill­es : le fameux “oeil pour oeil, dent pour dent” est constammen­t fragilisé par les doutes du héros confronté au déclin de sa colère. Les obstacles à sa haine tiennent autant à l’érosion du souvenir (qu’il tente de combattre en se repassant le meurtre de sa petite amie enregistré par une caméra de télésurvei­llance) qu’à la reconversi­on des agresseurs en braves pères de famille. Comment les haïr ? Faut-il les tuer ?

Plus impitoyabl­e que la vengeance, il y a l’oubli. Celui à l’oeuvre chez ce triste prédateur réduit fatalement son passage à l’acte à un geste différé et mécanique, cérébral et désincarné – vidé de tout affect et n’apportant pas le repos intérieur escompté. Le film ordonne ainsi une ahurissant­e escalade de séquences punitives. Dévoyées de leurs enjeux habituels, d’une fureur dilatée, atroce et bizarre, elles rappellent la violence surréalist­e accolé à certains grands noms (les Coen, Peckinpah), mais contenue (et c’est aussi à cela que tient son charme) dans un thriller brut et sans prétention. Emily Barnett

La Colère d’un homme patient de Raúl Arévalo, avec Antonio de la Torre, Luis Callejo (Esp., 2 017, 1 h 36)

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Antonio de la Torre

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